Qui sont les Grecs indépendants, ce parti de droite nationaliste, partenaire de SYRIZA ?

tsipras-kammenosArticle AC pour http://www.solidarite-internationale-pcf.fr/

Il a osé. Pas sectaire pour un sou, Tsipras élargit sa Coalitiond de gauche jusqu’à sa droite. Coup de génie tactique ? A voir. Coup préparé de longue date ? Assurément. Cela change radicalement la tournure du projet SYRIZA et de ses admirateurs en Europe.

UKIP, Front national, Ligue du nord, la droite extrême qui avance en Europe a salué la victoire de SYRIZA en Europe. Tout comme Podemos en Espagne, 5 étoiles en Italie, avec leur positionnement ambigu « ni droite, ni gauche ». Idem pour le PS français, le PD italien, pensant au projet de « New Deal » européen, du bond fédéral, partagé par Renzi, Hollande, Tsipras.

Quant aux marchés financiers, ils ne semblent pas avoir été pris de panique à l’annonce de la victoire de SYRIZA… c’est leur pacte avec la droite nationaliste qui crée le plus d’inquiétude.

L’alliance apparemment contre-nature avec la droite nationaliste – une scission de droite de la « Nouvelle démocratie », comparable toutes choses égales par ailleurs à UKIP en Grande-Bretagne – a pu sembler une surprise de dernière minute. Elle était préparée de longue date.

Aux origines du pacte SYRIZA/Grecs indépendants

« Si nous avons besoin de 5 voix de la part de M.Kammenos, des Grecs indépendants, et si il vient vers nous et nous donne un signe d’ouverture et de soutien, nous ne le jetterons pas. Nous ne dirons pas que nous ne voulons pas de lui ».

Va Kammenos, je ne te hais point !Ainsi parlait Alexis Tsipras, en avril 2012, quelques semaines après l’annonce de la scission de droite de la Nouvelle Démocratie. Depuis, les contacts se sont multipliés, un « Front commun » s’est matérialisé en 2013 sur la question des banques chypriotes.

En octobre 2014, c’est le pacte entre Tsipras et Kammenos qui a scellé le sort du gouvernement :Tsipras soutenant la formation de droite sur un projet portant sur les prêts aux PME, Kammenos refusant le soutien à tout candidat présentiel, précipitant les élections anticipées.

Tsipras avait alors déclaré :« Il y a besoin de forces différentes, qui voit les choses depuis des points de vue différents, qui se rassemblent afin de mettre un terme aux politiques désastreuses du mémorandum, maintenant, pour ensuite reconstruire l’économie ».

Kammenos avait précisé après sa rencontre avec le leader de SYRIZA :« Nous pouvons trouver un terrain commun, chacun gardant ses lignes rouges, on peut aller de l’avant ».

La formation des Grecs indépendants était peu connue jusqu’à hier en France. Sur quoi se fonde son identité ? Elle est née en février 2012 comme scission du parti de droite conservateur Nouvelle Démocratie sur la base du rejet des plans d’austérité.

Un parti nationaliste intégral, mais pas anti-UE ni anti-euro !

Son idéologie est intégralement nationaliste. Elle ne rejette pas l’Union européenne en soi mais désire maintenir non-négociables« l’indépendance, la fierté, la souveraineté nationales », pour citer le premier point de sa Déclaration fondatrice, le 24 février 2012.

Elle désire une Europe réforméedans le sens de la coopération inter-étatique, non sa dissolution, ni celle de la zone euro. Toujours dans sa Déclaration fondatrice : « Nous croyons en une Europe unie de la solidarité et de la coopération, où les Etats membres seraient égaux ».

Ce qu’elle dénonce dans l’Union européenne, avec véhémence, c’est la « domination allemande »contre laquelle Kammenos a multiplié ces derniers temps les déclarations sous diverses variantes, plus ou moins injurieuses ou belliqueuses, selon laquelle la Grèce « ne se mettrait pas à genoux devant l’Allemagne », cette dernière étant gouvernée par « des néo-nazis, dans un IV ème Reich », alors que « Merkel et Schuable sont persona non-grata à Athènes ».

Le parti est déjà prêt à partir en croisade pour obtenir la réparation des dommages de guerre causés par l’Allemagne nazie pendant la Seconde guerre mondiale.

Elle dénonce aussi l’entrée potentielle de la Turquie et d’autres pays des Balkans comme l’Albanie ou la Macédoine dans l’Europe. Un type de position incompatible avec la sortie de la Grèce de l’UE.

Aux fondements de son identité, on retrouve une sainte trinité :

Le parti clérical : famille, religion, ordre

1 – Défense de l’Eglise, de sa place privilégiée dans la société, des valeurs conservatrices traditionnelles : c’était une des « lignes rouges » fixées par Kammenos au pacte avec SYRIZA. Pas de laicité, pas de séparation de l’Eglise avec l’Etat, pas de remise en cause des priviléges fiscaux de l’institution ecclésiastique.

Cela explique de façon très claire les ultimes rencontres de Tsipras avec les moines du mont Athos, les hauts dignitaires de la hiérarchie orthodoxe, pour les rassurer sur leurs privilèges.

Dans la Déclaration fondatrice, une des proclamations centrales est : « Nous croyons dans les valeurs et le caractère éternel de la religion orthodoxe ». En 2013, les Grecs indépendants ont opposé leur veto catégorique à tout abandon de l’enseignement religieux à l’école.

Le parti avait alors affirmé que c’est « sous prétexte de multi-culturalisme et de lutte contre la xénophobie et le racisme »que les cours de religion étaient remis en cause alors que « la culture orthodoxe, ses sacrements, les valeurs et vertus chrétiennes est au cœur des traditions grecques »et que « dans la société libertaire que certains veulent créer, la vie humaine ne vaudra rien ».

Dans ses valeurs traditionnelles, la famille, la religion, la patrie jouent un rôle central. Les Grecs indépendants prônent ainsi une restriction drastique de l’immigration, dont la population devrait être limitée à 2,5 % de la population résidente, à des niveaux « soutenables pour le pays ».

Face à un projet de loi supposé favoriser l’ « intégration des étrangers » en avril 2014,le parti avait alors dénoncé le mythe du multi-culturalisme, en échec partout, affirmant l’impossibilité d’une intégration et assimilation de masse des étrangers et immigrés en période de crise.

Sur la famille, le Parti – et surtout certains de ses leaders comme le député Nikos Nikopoulos – a fermement rejeté toute tentative d’instaurer un mariage homosexuel en Grèce.

Nikopoulos s’est fendu l’an dernier en déclarations homophobes, ironisant sur l’enthousiasme du Premier ministre luxembourgeois avec un tweet polémique : « Nouvelles de l’Europe : les pédales s’accouplent ! Le premier ministre luxembourgeois va se marier avec sa chérie ».

On peut rappeler aussi les déclarations du leader Kammenos contre le Premier ministre de droite Samaras dans l’hypothèse d’une remise en cause partielle des privilèges de l’Eglise :

« Tout ce que le gouvernement fait va contre l’Eglise de Grèce : crémation, mariage gay, taxation de la religion orthodoxe.Les Bouddhistes, les Juifs, les Musulmans ne sont pas taxés, les Orthodoxes oui, et il y a même un risque qu’on perde le patrimoine monastérial ».

Le parti de l’Armée : une Grèce forte au service de l’OTAN

2 – Défense de l’Armée, et d’une politique étrangère indépendante et agressive.C’était la deuxième « ligne rouge » de Kammenos pour un pacte avec SYRIZA : obtenir le Ministère de la Défense, et l’engagement du maintien dans l’OTAN, d’une sanctuarisation du budget colossal de l’Armée.

Les Grecs indépendants représentent une frange si ce n’est cléricale et militariste de l’appareil d’État, en tout cas fortement lié à l’Eglise et l’Armée, convaincus de leur rôle de pilier dans l’ordre social grec.

Ainsi dans le programme de gouvernement élaboré en 2014 par les Grecs indépendants, y sont réaffirmés le rôle central de l’OTAN dans la politique étrangère grecque ainsi que la nécessité d’adopter une posture ferme sur les questions internationales : sur les ZEE, sur Chypre, sur les frontières avec la Macédoine, sur les projets de Grande Albanie.

La Turquie est la première visée hors de l’UE, ce en quoi la Grèce a besoin de ses partenaires dans l’OTAN et l’UE. Tout comme l’Allemagne est désignée comme l’adversaire dans l’UE, pour la « nation prolétaire » grecque.

On comprend plus aisément les déclarations de ces derniers mois de Tsipras avec les hauts responsables de l’armée grecque, sa rencontre avec les responsables de l’OTANil y a un an, visant à les assurer sur son maintien dans l’OTAN.

Un capitalisme national d’Etat, mieux inséré dans l’UE et la mondialisation

3 – Défense d’un capitalisme national compétitif dans la mondialisation. Les Grecs indépendants concentrent toute leur énergie sur l’abandon des mémorandums avec la BCE, le FMI et l’UE qu’ils voient comme un « complot international » contre la Grèce.

Ils s’inscrivent dans la stratégie d’une fraction du capitalisme grec décidée à entrer en conflit avec le capital allemanden particulier pour obtenir un maximum de concessions comme un allégement de la dette et des plans d’austérité, afin de relancer l’économie locale.

Dans sa Déclaration fondatrice, il affirmait clairement croire en un « développement basé sur le capitalisme, avec une répartition équitable des richesses », qui ne soit pas perverti par les « requins de la finance, les spéculateurs et les usuriers ».

Dans son programme de 2014, on retrouve 8 mesures clés qu’on peut résumer ainsi : (1) le rejet de la « dette illégitime » ; (2) l’abrogation des mémorandums, accords de prêt et lois liés à ces accords ; (3) politique de guerre économique avec réparations de guerre allemandes et lutte pour les ZEE et les ressources off-shore ; (4) nationalisation de la Banque de Grèce et relance de l’économie.

La relance de l’économie, telle que les Grecs indépendants, la conçoivent est une relance inscrite dans une logique d’un capitalisme national encadré, facilité, soutenu par l’État dans le but d’affronter la compétition internationale.

Ainsi dans son Programme de gouvernement – destiné à un « Front patriotique et démocratique », dixit le parti – le parti de droite insiste sur un Plan de Reconstruction et de développement national comprenant :

  • la réduction de l’impôt sur les sociétés pour supporter la compétition internationale, ainsi qu’un allégement des dettes consécutives aux prêts contractés par les PME ;
  • un « soutien au fonctionnement du capital grec, un soutien à l’attraction des IDE » qui serait facilité par une Banque de Grèce nationalisée qui emprunterait directement à la BCE pour financer ensuite les entreprises nationales ;
  • le « renforcement de la Marine » pour peser dans la lutte pour les ZEE et leurs ressources off-shore, perçues comme capitales pour relancer l’économie ;
  • le développement de « Pôles régionaux d’innovation », sur la base de Partenariats publics-privés (PPP), facilités par une « aide publique à l’internationalisation » ;

 

Convergences entre la dite « gauche radicale » et la vraie « droite réac »

L’annonce du pacte de gouvernement a suscité une interrogation : des partis venant d’horizons si différents peuvent-ils former une coalition durable, stable et unie face à l’épreuve de force qui s’annonce, notamment avec la Troika, après le « Quantitative easing » de Draghi ?

La réponse est incertaine mais Tsipras a remarquablement préparé le terrains : il a verrouillé les « lignes rouges » de la droite dure sur l’Eglise, l’Armée, voire l’immigration et le mariage gay. Il a obtenu leur soutien sur le « Programme de Salonique », un plan limité mais réel de soutien aux ménages les plus modestes pour soulager la misère galopante.

Mais sur le fond, les convergences existent entre les deux forces : maintien dans l’OTAN, dans une UE réformée ; rapport de force institutionnel pour obtenir des concessions de l’UE, de l’Allemagne sur la dette, les mémorandums ; vision partagée d’un capitalisme keynésien basée sur des réformes structurelles, une intervention accrue de l’État au service des entreprises.

L’avenir nous en dira plus sur la solidité de cette alliance, et surtout ses répercussions en Grèce et en Europe. Le spectacle peut commencer. Plein d’incertitudes et de périls à l’horizon. En France, le FN attend son tour. Et jubile du nouveau tour de la tragédie grecque.

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