Lire le TATFA (1) – le bilan de l’ALENA au Mexique ou comment le libre-échange imposé par les USA a détruit un pays

firma_tlaNous allons réaliser une série d’articles sur le TAFTA (Accord de libre-échange trans-atlantique) en soulignant tant le danger objectif de cet accord de libre-échange pour les travailleurs français et d’Europe, comme instrument de casse de nos acquis sociaux et démocratiques, de casse des appareils productifs nationaux.

Nous allons aussi mettre en garde contre les périls de la rhétorique « anti-TAFTA » cherchant à masquer que cela peut être aussi un prétexte, un cheval de Troie de nos propres dirigeants français, européens pour casser – dans la continuité de l’intégration européenne – grâce à un agent extérieur, son propre système social.

Nous allons commencer par un premier article portant sur les effets de l’ALENA ou NAFTA (Accord de libre-échange nord-atlantique) sur le Mexique, un ancien pays émergent des années 1980 réduit aujourd’hui à un état de déstructuration avancée, de tiers-mondisation avérée, de paupérisation critique.

Un avertissement pour beaucoup de pays européens.

20 ans de l’ALENA au Mexique : chronique d’un désastre

Dossier réalisé par le journaliste et universitaire (UNAM) mexicain Manuel Hernandez Borbolla

Traduction MA pour http://www.solidarite-internationale-pcf.fr/

Le bilan négatif laissé par le Traité de libre-échange d’Amérique du nord (ALENA) vingt ans après son entrée en vigueur, explique dans une large mesure le Mexique actuel : un pays pris dans une crise de légitimité de ses institutions politiques et une élite patronale privilégiée dont la richesse a cru exponentiellement avec la pauvreté de masse, le chômage, l’émigration, l’impunité, la violence du crime organisée et une perte de confiance dans les institutions démocratiques qui conviennent à un État mexicain dévoré par la corruption.

Le gouvernement mexicain reconnaît lui-même que l’économie mexicaine a un retard de 30 ans, cela correspond au début du projet néo-libéral mis en place par le gouvernement de Miguel de la Madrid, et qui a connu son apogée avec la signature de l’ALEBA durant le gouvernant de Carlos Salinas de Gortari et a continué à se développer pendant les administration d’Ernesto Zedillo, Vicente Fox, Felipe Calderón et Enrique Peña Nieto.

« Notre économie n’a pas cru à la hauteur de son potentiel ces 30 dernières années, une période où la croissance réelle du PIB n’a été que de 2 %. Cette croissance faible de l’économie durant ces 30 dernières années est liée à la croissance nulle de la productivité », souligne Luis Videgaray, responsable au Secrétariat aux Finances et au Trésor public en septembre dernier.

Si le gouvernement mexicain reconnaît que le modèle économique expérimenté ces trois dernières décennies n’a pas fonctionné : pourquoi continuer à mettre en place ces mêmes mesures ?Les spécialistes considèrent que cela est du à la mise en place de l’ALEBA, à l’ouverture commerciale et aux privatisations qui ont été une affaire juteuse pour une élite politico-économique qui a amassé d’énormes fortunes sous la couverture d’une impunité systématique qui explique la crise de légitimité que connaissent actuellement les institutions mexicaines. Voilà le bilan de trois décennies de réformes structurelles et l’entrée en vigueur de l’accord commercial qui a marqué l’histoire récente du Mexique.

1 – Arrêterde produire et importer

Les chiffres macro-économiques sont incontestables. En trois décennies, le Mexique a démantelé son appareil productif pour devenir un pays importateur. Selon les données de l’INEGI, la productivité totale du Mexique en 2011 est 8,2 % plus faible qu’en 1990.

En contre-partie, de 1993 à septembre 2013, le pays a eu un déficit commercial de 124 milliards de dollars, selon les données de la Banque du Mexique. Si on enlève les revenus du pétrole, la statistique est même pire, puisque le déficit accumulé en 20 ans s’élève à 329 milliards de dollars.

Le secteur des services, qui comprend le tourisme et le système financier, connaît également un solde négatif accumulé de 377 milliards de dollars de 1994 à 2012, une période pendant laquelle le déficit a doublé, passant de 14 milliards de $ à 31 milliards, selon les données de l’INEGI, de la SHCP et de la Banque du Mexique, rassemblés par le Centre d’études des finances publiques (CEFP) de la Chambre des députés.

L’investissement étranger est passé de 12 milliards en 1994 à 72 milliards de $ en 2012, selon les chiffres de la Banque du Mexique. Dans la même période, le Mexique est descendu de la 4 ème place à la 23 ème pour la captation des IDE, principalement à cause de la perte de compétitivité, selon les données de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.

Cependant, l’injection de capital étranger n’a pas réussi à peser de façon favorable sur la croissance de l’économie nationale, car l’ouverture commerciale a engendré la destruction de plusieurs chaînes productrices de valeur qui alimentaient la croissance des PME, si on prend en compte que l’industrie mexicaine repose principalement sur des activités d’assemblage à la fin d’un processus de fabrication dirigé par des multi-nationales qui importent la majorité des facteurs de production utilisés pour générer des produits d’exportation. Cela explique la faible valeur ajoutée de l’industrie nationale, c’est le cas pour les écrans plats, où le Mexique ne génère que 5 % de la valeur ajoutée bien que cela soit un de ses principaux produits d’exportation.

De 1993 à 2012, l’industrie mexicaine a connu un recul de 14,35 % de la valeur ajoutée de ses produits manufacturiers, selon les données du Secrétariat à l’Economie, ce qui souligne la façon dont a désarticulé l’appareil productif du pays après la signature de l’ALENA.

« Les petites, moyennes et micro-entreprises ne sont pas connectées à la modernitré et ont des niveaux très bas de productivité » a souligné en septembre le Secrétaire à l’Economie, Ildefonso Guajardo, qui a reconnu que 50 % des exportations mexicaines sont réalisées par seulement 45 entreprises. La majorité d’entre elles à capitaux étrangers.

Selon la CEPAL, le Mexique est un des trois pays du continent où l’investissement étranger apporte le moins de bénéfices à l’économie nationale, selon un rapport daté de 2012.

« Pour nous, le commerce extérieur signifiait signer des traités de libre-échange mais il n’y eut pas de programmes de compétitivité, d’impulsion industrielle ou du commerce extérieur », affirme Anulfo Gomez, chercheur à l’Université Anahuac, qui assure que la politique dogmatique qui a été adoptée avec la signature de l’ALENA a provoqué la disparition de milliers de PME.

« Nous n’avons pas conçu une politique pour renforcer le marché intérieur car nous nous sommes beaucoup ouverts et nous avons mis en place une concurrence déloyale pour l’appareil productif national », ajoute-t-il.

Le spécialiste considère que tandis que les Tigres asiatiques (Hong Kong, Singapour, Corée du sud et Taiwan) ont su profiter de leurs accords commerciaux avec le Japon pour investir dans l’éducation et des programmes qui ont aidé à renforcer leur économie, le Mexique a adopté une posture basée sur le fait que « la meilleure politique industrielle est celle qui n’existe pas », comme l’a affirmé alors le Secrétaire au commerce et à l’impulsion industrielle de Salinas, Jaime Serra Puche.

Bien que le Mexique ait des accords de libre-échange avec 45 pays, il a un déficit commercial avec 30 d’entre eux, explique Gomez pour qui la signature de l’Accord trans-pacifique sera contre-productif, principalement pour des industries comme celle du café et du textile.

Pour Gregorio Vidal, chercheur à l’UNAM, le problème de fond réside dans le fait que ce modèle basé sur les exportations manque des bases nécessaires pour générer une croissance économique soutenue entre 5 et 6 %, à la différence de ce qui arrive pour d’autres puissances exportatrices comme la Chine, pays qui génère ses propres facteurs de production et ses équipements industriels pour ensuite les transformer et les exporter dans le reste du monde, y compris au Mexique. C’est par l’ALENA que des pays comme le géant asiatique sont parvenus à introduire leurs marchandises au Mexique, via les Etats-unis.

« Cela fait longtemps qu’il n’y a pas de politique industrielle au Mexique. On a estimé simplement qu’il fallait agir selon les marchés. Un exemple remarquable, c’est le cas du pétrole, quand on dit qu’il revient moins cher d’importer des pétroles que de construire des raffineries »,souligne Vidal, qui considère que la situation actuelle de Pemex illustre la situation aussi du reste de l’industrie nationale.

La pression augmente aussi sur les finances publiques, puisque la balance entre les revenus et les dépenses publiques est passée d’un solde positif de 0,2 % du PIB en 1994 à un solde de – 2,5 % en 2012. Un chiffre négatif qui augmentera en 2014, après que le gouvernement du président Enrique Pena Nieto a proposé d’alimenter le déficit public en 2014 avec comme objectif d’augmenter les dépenses publiques et éviter une récession face à la décélération économique de ces derniers mois.

Toutefois, la hausse de la dette inversera difficilement le retard dans l’investissement public au Mexique depuis la mise en place du modèle néo-libéral, puisque les dépenses publiques en pourcentage du PIB n’est « plus que de 19,5 %, tandis que dans le reste de l’Amérique latine atteint, en moyenne, c’est de l’ordre de 27,1 %, et dans les pays de l’OCDE 46,5 % », selon la SHCP.

Alors que le Mexique enregistre un solde négatif dans presque toutes les variables macro-économiques, le PIB présente une légère croissance de 3,15 % depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA et une croissance par habitant de 1,46 % selon les données de l’INEGI et Conapo. Comment peut-on l’expliquer ?

« C’est la vraie question amère pour l’Etat mexicain, vingt ans après l’ALENA. Comment expliquer certaines données économiques, parfois très hautes, quand nous n’avons pas de production, une augmentation du chômage et des problèmes avec la production agricole », questionne David Lozano, directeur du Centre d’analyses multi-disciplinaire de l’UNAM qui considère que les prix élevés du pétrole dans les années 2000 ne permettent pas d’expliquer en eux-mêmes la façon dont l’économie réelle est « totalement en contradiction » avec les chiffres macro-économiques.

Certains spécialistes doutent même de la véracité des chiffre macro-économiques, et beaucoup de zones d’ombre subsistent à l’heure actuelle pour expliquer des phénomènes comme l’inflation.

« Le Mexique a un problème et il y a des avertissements du système financier que le Mexique lave de l’argent sale en grandes qualités », ajoute Lozano.

L’agence Stratfor estime que chaque année ce sont entre 19 et 39 milliards de $ qui sont lavés ou blanchis, venant du crime organisé.

Plusieurs chercheurs considèrent que la stabilité macro-économique du pays au cours des deux dernières décennies a été gonflée artificiellement par la dette publique, les devises des migrants, la précarisation de l’emploi, le commerce informel et l’argent créé par le crime organisé.

L’Agence anti-drogues des États-Unis (DEA) estime que l’économie mexicaine a un excédent entre 9 et 10 milliards de $ qui n’a aucune source légitime, chiffre qui coincide avec un excédent de 10 milliards de $ constaté par le Secrétariat aux Finances dans le système financier mexicain à la fin de l’année 2011, selon les informations du Centre d’études sociales et à l’opinion publique de la Chambre des députés.

2 – Les grands gagnants des privatisations

Bien que le gouvernement de Miguel de la Madrid fut celui qui a commencé le processus de privatisation qui a mis à 294 entreprises publiques, avec 72 fusions, 25 transferts et 155 entreprises vendues, selon les chiffres de la SHCP, il faut attendre le gouvernement de Salinas pour que le processus de privatisation atteigne son acmé à cause de la taille et de l’importance des entreprises qui passèrent sous contrôle du secteur privé. Ce fut ainsi qu’en 1991, le gouvernement a lancé la privatisation du secteur bancaire qui a été vendu principalement au patronat national.

« C’étaient des groupes financiers au sens large. Ce sont eux qui ont acquis toutes les banques dans un processus accéléré qui visait à faire émerger des groupes financiers et bancaires dans le pays de grande ampleur qui permettraient de renforcer quelques grandes fortunes », explique le chercheur à l’UAM, Gregorio Vidal.

Avec la crise économique de 1994 et l’effondrement imminent des banques, le gouvernement a réalisé le plus grand sauvetage financier de l’histoire du pays en faisant de la dette des épargnants privés une dette publique. Pendant le sauvetage bancaire, l’État mexicain a dépensé des montants deux à trois fois plus importants que ceux obtenus durant leur privatisation, pour ensuite revendre les banques déjà assainies au capital étranger.

Quatorze ans après, la dette publique en raison du sauvetage bancaire n’a pas diminué, au contraire, elle a augmenté de 19,87 points de %, car l’argent destiné annuellement à ce poste de dépense est utilisé pour payer une partie des intérêts. Selon les données de l’Institut pour la protection des dépôts bancaires, la dette en décembre 1999 était de 687 milliards de pesos. En septembre 2013, elle s’élevait à 824 milliards de pesos. En décembre 2013, l’Etat mexicain avait payé un total accumulé d’intérêts de 106 milliards de pesos, selon l’IPAB.

Toutefois, les crédits accordés par les banques connurent une contraction de moitié depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA puisque tandis qu’en 1994 on octroyait des crédits pour 47,4 % du PIB, en 2012, le pourcentage de crédits atteignait les 20,32 %, selon les données officielles recueillies par le CEFP.

Pour le gouvernement fédéral, le manque de crédits a eu des répercussions sur la chute de la production et le manque de travail. Bien que les PME génèrent 74 % des emplois du pays, seules 15 % d’entre elles ont accès à un financement.

« Nous avons au Mexique un des systèmes financiers les plus solides et robustes du monde, mais dans le même temps, un de ceux qui prêtent le moins au niveau global. Le bas niveau du crédit, de plus, touche ceux qui en ont le plus besoin : les PME », a reconnu Pena Nieto en mai dernier.

Cela contraste avec les profits des banques qui ont augmenté à un rythme plus élevé que l’économie ces 15 dernières années. De 1999 à octobre 2013, les banques privées ont enregistré des bénéfices de 724 milliards de pesos, selon des rapports de la Commission nationale bancaire et des valeurs. Cela signifie que les bénéfices des banques ont cru quatre fois plus que l’économie nationale dans la même période, principalement par le recouvrement des intérêts (le PIB a cru de 186,37 % à prix courants tandis que les bénéfices des banques ont cru de 722 % à prix courants).

Avec la privatisation de l’industrie sidérurgique, des raffineries de sucre, ainsi que les entreprises de téléphonie, des fertilisants et des produits de base pour la consommation, puis ensuite les chemins de fer, les aéroports, les lignes aériennes, les ports maritimes et les deux entreprises productrices d’énergie à des dates plus récentes, l’élite patronale émergente a commencé à concentrer un volume plus important de richesses.

En 1993, le Mexique comptait 14 patrons dont la fortune dépasse le 1 milliard de $, selon Forbes, avec tout en haut de la pile : Emilio Azcarraga Milmo (Televisa) avec 5 milliards, Carlos Slim (Grupo Carso) avec 3,7 milliards et Lorenzo Zambrano (Cemex) avec 2 milliards. Ces 14 magnats accumulaient une fortune de 22 milliards de $.

20 ans après, leur nombre est à peu près le même, mais leur fortune a augmenté considérablement. En 2013, le Mexique comptait 15 milliardaires dont les fortunes se chiffrent à 148 milliards de $, soit une hausse de 648 % par rapport à 1993, selon Forbes.

Au top de la liste, Carlos Slim (Grupo Carso, America Movil), l’homme le plus riche du monde avec une fortune estimée de 73 milliards de $, Alberto Bailleres (Grupo Penoles, Palacio de Hierro, GNP) avec 18 milliards de $ et German Larrea Mota Velasco (Grupo Mexico) avec 16 milliards.

Selon le Rapport global sur la richesse de 2013 du Crédit suisse, le Mexique occupe la 8 ème place pour le nombre de multi-millionnaires (186) alors qu’elle n’est que la 14 ème économie du globe.

« Ces patrons ont engendré d’énormes bénéfices. Certains ont vendu leurs actions, d’autres ont changé de secteur, mais ils ont fait des profits comme jamais. On a ajusté la loi pour qu’ils puissent réaliser de gros bénéfices, pas dans le secteur productif mais dans celui financier, où la loi est très laxiste, ce qui permet de réaliser vite des bénéfices élevés. C’est pour cette raison qu’ils ne peuvent pas vouloir une régulation étatique », explique Arturo Ortiz Wadeymar, expert à l’Institut de recherches économiques de l’UNAM.

Le chercheur assure que tandis que certaines entreprises comme le Grupo Modelo ont été acquises par des entreprises étrangères, le Mexique s’est transformé au fil des ans en un pays où les entreprises mexicaines sont devenues des multi-nationales qui exportent de grandes qualités de capital pour réaliser des investissements dans d’autres pays, ce qui se passe traditionnellement par des entreprises comme América Movil, Grupo Elektra, Cemex, Grupo Mexico, Bimbo ou Gruma, pour ne mentionner que quelques-unes d’entre elles.

« On peut voir l’état de la balance des paiements, avec un investissement des mexicains à l’étranger de 25 milliards de $ en 2013, c’est-à-dire qu’ils investissent à l’étranger car ils voient peu de perspectives sur le marché national », souligne Ortiz.

Cependant, la fuite des capitaux est bien supérieure à celle rapportée officiellement, selon une étude de Global financial integrity. Le Mexique est devenu le troisième pays en développement qui connaît la plus grande fuite de capital enregistrant des pertes de 461 milliards de $ de 2002 à 2011. Un phénomène qui a explosé avec l’entrée en vigueur de l’ALENA, à cause de l’absence de contrôles qui a facilité le blanchissement d’argent à travers la facturation frauduleuse, qui a permis que le crime organisé puisse laver de grandes sommes d’argent transférées principalement aux Etats-unis. Si on compare les revenus reçus par Mexico de la part des familles migrantes et de l’investissement à l’étranger face à la fuite des capitaux, on obtient un solde négatif de 110 milliards de $, ce qui nous donne une idée de l’ampleur du problème.

Le rapport en conclut que le gouvernement mexicain doit se concentrer sur l’adoption de mesures destinées à freiner la facturation frauduleuse, une façon de blanchir l’argent qui a augmenté exponentiellement depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA et qui « constitue 73 % de tous les flux illicites », enregistrés de 1970 à 2010.

La fuite des capitaux et la chute de la production sont deux éléments-clés pour expliquer la faible création d’emplois dans les deux dernières décennies en contraste avec une augmentation des richesses accumulées par l’élite patronale profitant du modèle néo-libéral.

« Cela a été rentable. La question, c’est : rentable pour qui ? Il y a des gagnants dans ce processus, il y a des fortunes qui ont cru, des groupes qui se sont renforcés, des capitaux placés à l’étranger qui ont été le fruit de cette politique. Que le gros de la population n’en ait pas profité, c’est une autre chose », explique le chercheur à l’UNAM Gregorio Vidal sur la privatisation des banques.

3 – Revenus en baisse pour la majorité et chômage de masse

La faible productivité du Mexique et le retard de son économie durant les 20 dernières années s’est traduit dans le chômage et une réduction du pouvoir d’achat pour les travailleurs mexicains.

Dans le pays, plus de la moitié des mexicains (53,5 % de la population, soit 63 millions de personnes), sont sous le seuil de pauvreté, selon les chiffres du Conseil national d’évaluation de la politique de développement social. De 1994 à 2012, le nombre de Mexicains avec certaines carences alimentaires a augmenté d’1,7 million de personnes.

Deux décennies après l’entrée en vigueur de l’ALENA, l’Indice national des prix à la consommation, qui fixe le prix du panier de base, est passé de 17,86 pesos en 1993 à 108,80 pesos en octobre 2013, selon l’INEGI.

Parallèlement à l’augmentation du panier de base, le salaire minimum (par jour) a connu une chute de 27 % de 1994 à 2012, passant de 78,84 pesos à 57,04 pesos, selon les données de la Commission nationale sur les salaires minimums.

A côté de l’érosion du pouvoir d’achat des travailleurs, le chômage a également augmenté. Le taux de chômage est passé de 3,6 % en 1994 à 6 % de la population économiquement active en 2012, selon l’INEGI.

Toutefois, le Centre d’analyse multi-disciplinaire (CAM) de la Faculté d’économie de l’UNAM assure que les chiffres réels du chômage au Mexique sont supérieurs à ceux rapportés par l’INEGI, puisqu’en utilisant la métholodogie de l’OIT, les spécialistes estiment qu’il y a 8 millions de chômeurs au Mexique en octobre 2013, soit 15,5 % de la population active.

Mais le gouvernement lui-même reconnaît que les chiffes officiels sur le chômage rendus publics par l’INEGI sont trompeurs car 60 % des travailleurs mexicains sont dans l’économie informelle, secteur qui génère une productivité plus faible de 45 % par rapport à l’économie formelle.

« Les statistiques disent que le Mexique a un chômage de 5 %, mais c’est trompeur car en réalité 60 % sont des travailleurs informels et seuls 40 % ont un emploi formel », reconnaît Alfredo Navarrete Prida, Secrétaire au travail et à la prévision sociale, dans un entretien avec l’agence EFE en juin, pendant sa participation à l’Assemblée annuelle de l’OIT à Genève.

Le fonctionnaire indique que l’ « informel » est le principal problème du secteur du travail mexicain est que l’ « informel ne paye pas d’impôts, ne reçoit pas de prestations et ne compte pas sur la sécurité sociale ». Cela, alors que le PRI et le PAN ont impulsé une réforme du travail en 2012, en flexibilisant les licenciements afin d’augmenter la productivité et la compétitivité des entreprises au détriment des travailleurs.

Les données de l’UNAM soulignent que le temps de travail nécessaire pour qu’un travailleur mexicain puisse acquérir un panier alimentaire a été multiplié par deux dans la pratique en 20 ans, passant de 12,5 h de travail en 1994 à 23,4 heures en avril 2013. En d’autres termes, le salaire minimum permet d’acheter la moitié des aliments que l’on pouvait acheter avant l’entrée en vigueur de l’ALENA, en dépit du fait que les promoteurs de l’accord commercial ont assuré que la libre concurrence dans le secteur alimentaire réduirait le prix des aliments.

En 2013, un mexicain sur deux dit s’être retrouvé au moins une fois sans argent pour acheter de la nourriture, selon Latinbarometro.

Les comparaisons internationales ne sont pas plus favorables. Le Mexique est le pays qui connaît le plus fort taux d’exploitation du travail parmi les principales économies de la planète, puisque le travailleur mexicain qui travaille en moyenne 594 minutes par jour (le nombre d’heures par semaine le plus élevé parmi les principales économies de la planète, elle cesse de recevoir des revenus après la moitié de son temps de travail (253 minutes), selon les données de l’OCDE en 2011. Cela signifie que l’exploitation du travail au Mexique est supérieure à celle de pays comme la Chine et l’Inde, dont les travailleurs travaillent en moyenne 504 et 486 minutes par jour.

Dans le cas des professions intellectuelles, les chiffres de l’INEGI signalent que 37,3 % des chômeurs avaient réalisé des études moyennes supérieures et supérieures en 2013, découlant d’un modèle économique où les jeunes intellectuels ne trouvent pas leur place dans le marché du travail. Une situation qui a contribué à gaspiller les « dividendes démographiques » du Mexique qui, selon le Conseil national de la population, ce qui se définit comme un phénomène de transition démographique où le nombre de travailleurs est supérieur à celui des dépendants (enfants et personnes âgées), ce qui aurait du contribuer au décollage économique du pays.

Et en dépit des conditions de travail précaires que connaissent les travailleurs nationaux, le Mexique a perdu 16 places dans la compétitivité au niveau international de 2001 à 2012, selon le Forum économique mondial, tandis qu’il a perdu 47 places dans l’évaluation que fait l’organisme de la qualité des institutions publiques, passant de la 56 ème à la 103 ème place dans la même période.

« L’ALENA a causé une détérioration ultérieure des conditions de vie des travailleurs. Il a diminué le pouvoir d’achat des travailleurs et nous avons aujourd’hui une augmentation de la pauvreté, même si dans les 20 dernières années c’est quand on a le plus augmenté les dépenses fédérales dans le combat contre la pauvreté », garantit David Lozano, économiste et coordinateur du CAM, qui considère que le manque d’emplois explique dans uen bonne mesure la violence qui existe dans diverses régions du pays.

« En 1995, les états de la République avaient des taux de chômage entre 8 et 11 %, maintenant cela peut aller jusqu’à 22 % de taux de chômage. Comment cela n’aurait pas d’impact sur la violence ? », souligne-t-il, affirmant que le crime organisé régule actuellement l’offre et la demande de certains produits et services à travers des quotas qu’il impose aux producteurs de citron à Michoacán et Jalisco, d’ananas à Veracruz, ou de lait dans la région de la Comarca Lagunera.

« Il y a des régions où l’économie est l’économie du narco-trafic. Maintenant, il y a bien une population active que l’on peut estimer comme illégale, mais dont les revenus sont comptabilisés officiellement. Il y a des entreprises qui sont des machines à laver l’argent sale, mais le gouvernement les compte comme créatrices d’emplois ».

4 – Une ruralité dévastée, des ressources pillées

Vingt ans après l’ALENA, le secteur agricole est dans l’impasse, l’absence de subventions gouvernementales dans les campagnes et les désavantages des agriculteurs nationaux face à leurs homologues états-uniens, ont transformé le Mexique d’un statut de producteur d’aliments à celui d’importateurs.

Des données de l’UNAM soulignent que 72 % des producteurs agricoles se trouvent dans une situation de faillite en 2011, selon un rapport du Centre d’analyse multi-disciplinaire de la Faculté d’économie.

Le gouvernement mexicain a réduit par ailleurs de plus de moitié les subventions agricoles en deux décennies, selon une étude de l’OCDE publiée en 2013, passant de 28 % dans la période 1991-1993 à 13 % pour 2010-2012.

Cette situation a fait que de nombreux producteurs mexicains ont fait faillite face à leur incapacité d’être compétitifs avec des prix en-dessous de la valeur du marché offerts par les producteurs états-uniens grâce aux subventions élevées accordées par leur gouvernement, une pratique connue comme du dumping et qui a provoqué des pertes considérables des quantités produites pour le mais, le blé, le coton, la viande de porc et de bœuf.

L’inégalité entre le régime protectionniste des Etats-unis et du Mexique a provoqué un ralentissement du secteur agricole, avec une croissance agricole de 1,8 % par an sur les deux dernières décennies, alors que l’importation de nourritures a été multipliée par deux, passant de 19 à 42 %, selon les données de l’Institut de recherches économiques de l’UNAM.

« Le fait est qu’avec l’ALENA, le Mexique est devenu une puissance importatrice », assure Victor Suarez, président de l’Association nationale des entrerprises commercialisatrices des producteurs de la campagne (ANEC).

« Une autre promesse qui n’a pas été tenue, c’est qu’on allait dynamiser les investissements privés et étrangères dans l’agriculture, cela n’a jamais été le cas pour ces dernières, tandis que l’investissement privé a été rachitique. On a privé l’agriculture des investissements publics. On a uniquement investi dans une minorité de productions agricoles commerciales du nord qui ne représentent guère plus de 10 % des unités de production, et pour les 90 autres %, il n’y eut que des fonds de nature assistencialiste pour combattre la pauvreté, mais aucun pour le développement productif. Le résultat, c’est qu’il n’y a pas eu d’amélioration ni dans le revenu rural ni dans le bien-être des ruraux », ajoute-t-il.

La Confédérération nationale paysanne, organisation historiquement liée au PRI, reconnaît que depuis l’entrée en vigueur du Traité de Libre-échange, 2,3 millions de paysans ont du quitter leurs terres pour émigrer aux États-Unis et dans d’autres villes du pays « avec le facteur aggravant qu’existe le risque que le Mexique en vienne à importer 80 % des aliments dont sa population a besoin », selon le rapport « Etat efficace : modernisation de l’administration publique mexicaine pour répondre aux besoins des campagnes » publié en décembre 2013.

S’ajoutant à l’absence de soutiens à l’agriculture, le démantèlement d’entreprises para-étatiques comme Conasup et Liconsa pendant la décennie 1990 a permis que plusieurs entreprises trans-nationales régulent les prix des aliments, des semences et d’autres équipements agro-industriels qui expliquent pour bonne partie l’augmentation des prix des aliments dans les dernières décennies, comme cela s’est passé en 2007 avec la crise de la tortilla.

« On nous a promis que les consommateurs bénéficieraient d’aliments de qualité et de bas prix, mais les résultats indiquent que nous avons une augmentation constante des prix chez le consommateur, surtout ces 7 dernières années, à un niveau tel que le prix des aliments a doublé ou triplé par rapport aux années précédant l’ALENA et cela s’est répercuté par une augmentation de la pauvreté, de la dénutrition et de l’obésité au Mexique, parce qu’on a aussi importé le modèle d’alimentation basé sur le fast-food et les sodas, ce qui a provoqué une épidémie d’obésité », garantit Suarez.

« L’ALENA a été un fiasco pour le pays, les producteurs et les consommateurs. Les seuls qui ont bénéficié ont été une minorité de grandes entreprises agro-alimentaires mexicaines et étrangères comme Maseca, Bimbo, Bachoco, Lala, Grupo Vizacarra, Monsanto, Cargill, ADM, Nestlé, Walmart, Pepsico, Coca Cola, Bayern, General Food et ce type d’entreprises, qui ont vu croître leurs bénéfices et leur domination sur les marchés tant nationaux que globaux, en plus de concentrer les subventions, les crédits, les régimes de privilèges à caractère fiscal. Ils sont passés d’une économie de libre-marché à une économie d’oligopoles », ajoute-t-il.

Cependant, le secteur agricole n’est pas le seul qui présente un bilan négatif avec la signature de l’accord commercial puisque les pertes économiques occasionnées par les dommages causés à l’environnement représentent 6,9 % du PIB, selon les données de l’INEGI en 2011. Pour cette seule année, les dégâts à l’environnement provoqués par l’exploitation minière ont généré des pertes de 242 milliards de pesos.

Depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA, le gouvernement mexicain a octroyé près de 27 000 concessions minières qui équivalent à entre 15 et 30 % de la superficie totale du territoire national, grâce aux modifications constitutionnelles à l’article 27 de la Constitution qui a ouvert la porte à la privatisation de la terre, tout comme l’appropriation et la destruction des ressources naturelles.

En ce sens, la Commission nationale forestière estime que 82 % des 155 000 hectares déforestés chaque année sur le territoire mexicain sont la conséquence du changement d’usage des sols « pour un usage agricole, de tourisme ou pour la croissance urbaine et de l’industrie », des secteurs liés à l’ouverture commerciale de l’ALENA, transformant le Mexique en le pays qui connaît la plus grande déforestation de l’OCDE.

Et alors que 13% du territoire national se trouve sous protection fédérale, plus de 2 600 espèces sont listées sous les catégories d’espèces en voie d’extinction et la proportion d’espèces de mammifères et d’oiseaux menacés « est élevée en comparaison aux niveaux des autres pays de l’OCDE », selon ce que détaille un rapport de l’organisation.

En décembre 2011, 29 % des terres communales et collectives se trouvaient dans un processus de changement de propriétaires pour passer à un régime de propriété privée, selon les données du Bureau du procureur agricole.

L’abandon du secteur agricole avec la pression du capital privé sur les communautés a généré un climat de mécontentement social dans pratiquement tout le pays, puisque selon l’Assemblée nationale des sinistrés environnementaux (ANAA, en espagnol), il existe actuellement près de 350 conflits sociaux liés à des problèmes environnementaux.

« Il existe des cas emblématiques très graves de dégâts par contamination mais il n’existe aucun type de régulation et de surveillance sur la gestion, l’usage et la destruction des ressources naturelles du pays. Si nous ajoutons à cela que durant ces 20 dernières années s’est produit un processus accéléré de privatisation des ressources naturelles via des concessions minières ou la réforme énergétique, ainsi que d’autres types d’infrastructure, nous avons la plus grande menace pour notre survie dans l’histoire du pays, bien au-delà du problème de la violence qui est aussi très grave », signale Octavio Rosas Landa, chercheur à la Faculté de l’Economie de l’UNAM.

Toutefois, le scénario pourrait s’aggraver les prochaines années, à cause de la récente adoption de la réforme énergétique qui pourrait engendrer une destruction de l’environnement dans les états du Golfe du Mexique par le fait qu’on y trouve de grands gisements pétroliers qui augmenteront la pression sur les communautés pour que les multi-nationales puissent extraire des hydrocarbures du sous-sol, de façon similaire à ce qui se passe dans les mines canadiennes.

5 – L’exil forcé pour des millions de Mexicains

Il existe actuellement près de 13 millions de Mexicains vivant aux Etats-unis, selon le dernier recensement de l’INEGI, ce qui signifie que près de 18 % de la population active du pays se trouve dans le voisin du nord.

Tandis qu’en 1990 il y avait 4,4 millions de Mexicains vivant aux Etats-unis, le chiffre augmentait à 11,9 millions en 2010, ce qui représente une augmentation de 171 % en deux décennies.

La migration massive de travailleurs mexicains a explosé après l’entrée en vigueur de l’ALENA, principalement à cause de la crise économique de 1994, la croissance accélérée de l’économie états-unienne et les réseaux de migrants qui se construisirent depuis la réforme migratoire des États-Unis dans les années 1980.

Ce flux migratoire fit que dans ces deux dernières décennies, les revenus par transferts de fonds augmentèrent de 645 % passant de 3,4 milliards de $ en 1994 à 22,4 en 2012, selon les chiffres officiels recueillis par le CEFP.

Certains chercheurs considèrent que la migration fut une « soupape de sécurité » pour l’économie mexicaine, due au manque d’emplois au Mexique qui pourrait avoir contribué à précariser encore plu les conditions de travail des travailleurs nationaux.

« Cela a été une soupape de sécurité, avec une combinaison de facteurs, puisque d’un côté l’ALENA n’a pas été un moteur de la croissance espérée et la politique erronée de containment de la part des États-Unis a consolidé l’exode massif de nombreux Mexicains », souligne René Zenteno, chercheur à l’Université du Texas.

« L’impact des transferts de fonds est positif, puisque sans ces niveaux de revenus privés, je ne sais pas comment de nombreuses familles au Mexique ne pourraient pas s’en sortir. Les fonds transférés, néanmoins, sont soumis à une certaine instabilité et à la faiblesse de leur montant », ajoute-t-il.

Cependant, les experts ont encore des doutes sur l’impact productif des revenus envoyé depuis les Etats-unis, puisque selon Silvia Elena Giorguli, directrice du Centre d’études démographiques, urbaines et environnementales du Mexique, puisque « dans aucun pays du monde l’émigration n’a généré de développement local ».

Au Mexique, les conditions n’existent pas pour que l’entrée de ressources ait un impact significatif sur la réduction de la pauvreté ou la désertion scolaire.

« Il n’y a pas de conditions très favorables pour capitaliser les bénéfices de la migration. Il y a des gens qui rapatrient leurs économies et ouvrent des épiceries, mais ils ne sont pas en condition de provoquer un investissement productif qui permette qu’ils utilisent ses ressources de façon efficace », signale Giorguli.

« Cela passe par la discussion sur le programme de développement national. Il ne s’agit pas de faire naître des programmes pour les migrants mais de modifier les conditions générales », ajoute la spécialiste, qui considère que les conséquences sociales du phénomène migratoire se trouvent dans le dépeuplement des villages, des processus de rupture et de séparation familiale, des problèmes de santé mentale entre ceux qui s’en vont et ceux qui restent, ainsi qu’une vulnérabilité croissante pour la moitié des Mexicains qui se trouvent aux États-Unis et n’ont pas de papiers.

Après plusieurs dénonciations publiées par des organisations civiles, le Ministre du Travail a appelé à la réalisation en 2012 d’une enquête profonde sur les dénonciations des travailleurs mexicains contre le gouvernement des États-Unis face à de possibles violations de l’Accord de coopération sur le travail d’Amérique du nord (ACLAN), signé comme partie de l’ALENA, principalement pour ce qui est du « paiement du salaire minimum ; de l’élimination de la discrimination de l’emploi ; la prévention des accidents et maladies du travail ; l’indemnisation en cas d’accidents de travail ou des maladies du travail ; ils recoivent la même protection que les travailleurs nationaux ; et qu’ils aient accès à des procédures par lesquelles ils puissent faire de ces droits des réalités ».

6 – Une économie criminelle florissante et une crise politique majeure

Dans les 20 dernières années, la capacité financière et opérationnelle des grands cartels de la drogue au Mexique transformèrent ces organisations criminelles en entreprises trans-nationales dont l’importance dans l’économie mexicaine a continué à croître face à un État faible et incapable de satisfaire les demandes de sa population. Quelque chose qui, selon divers spécialistes, aide à expliquer le scénario de violence et de crise institutionnelle que traverse le pays.

Selon des estimations de l’Université de Harvard, le narco-trafic est le cinquième pourvoyeur d’emplois au Mexique, occupant directement 468 000 personnes en 2008, chiffre qui coincide avec le demi-million estimé par le Secrétaire à la Défense nationale d’alors, Guillermo Galván.

Un rapport publié en 2013 par l’Institute pour Economics and Peace (IEP), une organisation indépendante qui a son siège aux Etats-unis et en Grande-Bretagne, estime que les pertes économiques générées par la violence au Mexique se chiffrent à 330 milliards de $ annuels, soit 27,7 % du PIB.

Pour le chercheur Edgardo Buscaglia, de l’Université de Columbia et assistant à l’ONU spécialisé dans le crime organisé, la croissance de la violence au Mexique est due à la « délinquance organisée qui croît et s’alimente des failles régulatrices des Etats, générant des bénéfices dans ces marchés avec beaucoup d’intrications complexes ou des absences de cadres régulateurs », du au fait que les entreprises criminelles offrent à divers secteurs de la population tout ce que l’Etat « par ses défaillances ou son absence, ne peut offrir ».

Selon Buscaglia, cette aide doit nous permettre de comprendre comment les organisations criminelles ont réussi à infiltrer 78 % des secteurs économiques du pays, en même temps qu’elle a contribué à fragiliser les institutions judiciaires.

Dans son livre « Vacances de pouvoir au Mexique », Buscaglia signale que la faiblesse de l’Etat mexicain et l’absence de cadres régulateurs capables de contenir la violence du crime organisé est renforcée par un « pacte d’impunité » entre une élite politico-économique mexicaine « qui aujourd’hui bénéfice de financements dérégulés de campagnes électorales et d’enrichissements inexplicables, via des entreprises proches de politiciens qui vivent de pots-de-vin ».

En d’autres termes, la corruption à l’intérieur de l’Etat mexicain non seulement a permis la croissance des cartels de la drogue, mais aussi de grands groupes patronaux protégés par une classe politique et une illégalité systématique qui explique les hauts niveaux d’impunité au Mexique, puisque selon Buscaglia, « il n’existe pas de corruption publique sans corruption privée : les deux s’alimentent ».

C’est ce qu’a reconnu le Secrétaire à la gouvernance, Miguel Osorio Chong, signalant qu’en décembre 2012, pendant les six années du mandat de Felipe Calderon, il existait une impunité de 99 %.

Chiffre similaire au 93 % d’impunité rapportés en décembre 2013 selon les données du Bureau du procureur général de la République, selon une enquête publiée récemment dans le journal Reforma, pourcentage qui cependant, n’intègre pas les délits non dénoncés, ce qui peut penser que l’impunité atteint des dimensions bien plus vastes.

En 2013, l’Indice de perception de la corruption de Transparency International a placé le Mexique comme un des pays avec un niveau de corruption élevé, occupant la 106 ème place sur 175, ce qui en fait le pays avec le plus haut niveau de corruption parmi les pays de l’OCDE.

Même son de cloche pour le rapport 2013 de l’IEP où est constaté une détérioration dans 4 des 6 conditions de gouvernabilité au cours des 16 dernières années, selon les standards de la Banque mondiale, puisque le « niveau de corruption perçu a augmenté, l’état de droit s’est affaibli, la liberté d’expression s’est réduite, et la stabilité politique s’est largement dégradée ».

L’organisation Freedom House a qualifié le Mexique de pays « partiellement libre » dans son rapport de 2013 du à l’absence de conditions dans le pays pour garantir le respect de droits civils comme la liberté d’expression.

Cela nous aide à expliquer le désenchantement que l’on connaît vis-à-vis de la démocratie ces dernières années. En 1996, 53 % des Mexicains estimaient que la démocratie était le meilleur système, ils ne sont plus que 37 % en 2013, selon le Latinbarometro, soit une chute de 16 points. En revanche, 81 % des Mexicains jugent injuste la distribution des richesses, 82 % se déclarent insatisfaits avec le fonctionnement de l’économie.

En 2010, le rapport du Latinbarometro signalaient qu’en Amérique latine, le Mexique et le Brésil étaient « les deux pays où la plus grande majorité de la population accordait une légitimité faible à la démocratie ». Cette même année, les niveaux de défiance des Mexicains envers le Congrès et le Pouvoir judiciaire était de 72%, envers les partis politiques de 81 %, envers le gouvernement de 66 % et envers les forces armées de 45 %.

Les chiffres mettent en évidence le mécontentement de vastes couches sociales vis-à-vis des institutions de l’Etat mexicain, avec les cas du Pemexgate et des Amis de Fox, l’élection présidentielle de 2006, la dite « guerre contre le narco-trafic » mise en place durant les 6 années de Calderon ou le retour du PRI à la présidence après une élection marquée par des accusations d’achat de votes et de protestations contre les médias, principalement les télévisions.

La corruption, l’impunité et l’incapacité de l’Etat à garantir la sécurité de la population sont devenus un problème de légitimité politique qui permet d’expliquer l’apparition de groupes d’auto-défense apparus comme des entités comme à Michoacan et Guerrero, ainsi que l’ingouvernabilité qui existe à Tamaulipas et dans d’autres États confisquée par les organisations criminelles.

« La corruption désorganisée et sans contrôle que vit le Mexique invite les entreprises criminelles d’origine nationale et étrangère à établir dans le pays des têtes de pont avec des filiales pour commettre des actes prédateurs beaucoup plus violents et nuisibles que dans des Etats relativement forts », souligne Buscaglia.

« L’échec de la transition que connaît le pays a démantelé partiellement les institutions du régime autoritaire du parti unique d’Etat, mais les élites politico-économiques n’ont pas remplacé ce vide par des institutions démocratiques, et ainsi on a empêché que les supposés représentants populaires trouvent un consensus nécessaire pour définir des accords politiques avec le début de délimiter et mettre en place dans la pratique ces contrôles judiciaires, patrimoniaux, contre la corruption et socialement préventifs qui permettent de réduire les comportements anti-sociaux », ajoute-t-il.

Une crise institutionnelle et économique qui met en évidence la fracture du pacte social qui aide à expliquer le climat de mécontentement qui prévaut au Mexique.

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