Introduction et traduction JC pour http://www.solidarite-internationale-pcf.fr/
Alexis Tsipras règnera-t-il sur la Grèce ? Assurément. Changera-t-il la face de la Grèce ? Sûrement pas, nous le craignons.
Les articles se multiplient dans la presse française pour faire avancer l’idée que la finance internationale craindrait l’arrivée du leader d’une formation issue de la gauche radicale. Une vision plutôt déformée de la réalité.
Non que certaines fractions du capital financier – celles craignant le plus une inévitable restructuration de la dette grecque – n’aient de réelles craintes sur Tsipras, mais l’ensemble du capital européen ne semble pas hostile à l’arrivée d’un leader dont ses solutions impliquent toutes un bond fédéraliste européen, le maintien de l’euro et le paiement de la dette (restructurée).
Pour donner une idée du programme d’Alexis Tsipras, nous publions ici un document que nous avions en réserve, la traduction de l’intervention de M.Tsipras à une rencontre organisée le 5 septembre 2014, au Forum Ambrosetti, sur le lac de Come.
Le Forum Ambrosetti est moins connu que le Club Bildeberg, mais il participe de la même logique : réunir les leaders politiques dominants, l’élite des grands groupes capitalistes et des économistes libéraux pour dessiner les contours du maintien du système capitaliste italien et européen.
L’invitation lancée par le Forum et acceptée par Tsipras est significative. Il y côtoyait des hommes politiques clés de l’UE : Joaquin Almunia, Michel Barnier, José Barroso, Enrico Letta, Mario Monti, Romano Prodi, Jean-Claude Trichet.
Des ministres clés de l’économie et des finances ou des affaires sociale d’Espagne, d’Allemagne, d’Italie, des Pays-Bas, d’Autriche étaient présents. On y trouvait aussi les PDG de JP Morgan, Fiat, Goldman Sachs pour ne citer que les cas les plus célèbres.
Laissons la parole à Tsipras, présenté aux grands d’Europe comme « président de SYRIZA. Leader de l’opposition en Grèce. Vice-président du PGE ». Nous publions le texte en intégral, nous nous contenterons de souligner et commenter certains passages.
Eloges pour la politique de Mario Draghi à la tête de la BCE, celle de Monti précédemment (pour une recapitalisation européenne des banques). Nécessité des réformes structurelles, d’un plan de privatisation efficace. Identification de l’ennemi euro-sceptique, urgence de penser une alternative à la crise renforçant l’intégration européenne. A méditer.
Intervention d’Alexis Tsipras au 40 ° Forum de la fondation Forum Ambrosetti
« Mes chers amis,
Je voudrais commencer mon intervention, en reconnaissant que l’invitation qui m’a été envoyée repose sur deux raisons.
La première raison, c’est que vous savez que je vous présenterai une vision différente, peut-être hérétique diront certains, une analyse critique de la politique actuelle, de la politique dominante dans l’UE.
La deuxième raison, c’est que je représente un parti en Grèce, le pays où, par le biais la troïka, on a appliqué le programme d’ajustement le plus violent jamais réalisé en Europe.
J’ai entendu il y a peu M.Barroso, presqu’en excusant, dire qu’il n’y avait pas à avoir honte des résultats de nos efforts pour sortir de la crise. Je ne sais pas si quelqu’un aurait en réalité à avoir honte, mais on ne peut certainement ni célébrer ni être fiers de ces résultats.
Je veux ainsi commencer par une introduction. La crise est encore ici. Et ce n’est pas juste que la crise est encore là, mais c’est qu’elle n’en finit pas de résister, qu’elle crée des métastases. Nous luttons depuis cinq ans contre la crise, mais nous ne sommes pas parvenus à en réchapper. La crise est partie des banques, elle est passée à l’économie réelle, et de l’économie réelle elle est passée désormais dans la société, menace la cohésion sociale, et l’Europe se trouve face à une triple crise. Crise politique, économique, mais aussi crise du système politique, crise de confiance. Cela est révélé par les résultats des élections européens, cela démontre le fait qu’une immense majorité des citoyens européens ne croit pas que, nous ( !) qui discutons ici, nous pouvons apporter une solution efficace aux problèmes qu’ils doivent affronter, et ils tournent le dos à la politique. Cela se manifeste par la percée inquiétante de l’extrême-droite populiste, mais aussi par la montée inquiétante de l’anti-européisme.
Si aujourd’hui « un spectre hante l’Europe », ce n’est pas celui du communisme ( !), comme disait Marx dans le Manifeste du Parti communiste, mais le populisme de l’extrême-droite anti-européiste, c’est le spectre de l’euro-scepticisme et de l’anti-européisme ( !!).
Permettez-moi d’apporter brièvement quelques chiffres pour vous prouvez la faillite du programme en Grèce. En seulement quatre années, le PIB a reculé d’un quart, une chose sans précédent pour un pays en temps de paix. Le taux de chômage officiel est arrivé à 28 %, ce qui est inacceptable pour un pays au cœur de l’Europe, et nous avons une dette publique qui de 126 % du PIB se chiffre aujourd’hui à 175 % et augmente encore. Et nous avons également toute une série de dés-investissements. Je pense ensuite que, partant du présupposé que le traitement qui a été donné au patient a aggravé la maladie, nous devons tous nous mettre d’accord sur le fait que ce traitement doit être interrompu. Et je pense que la majorité des citoyens en Europe pense justement que la troika, comme institution qui a été imposée dans le schéma institutionnel européen, doit être abolie.
Je pense donc que nous avons besoins de changer de stratégie, personne ne dit – au moins, nous, nous le disons pas – qu’il faut revenir à l’époque des déficits. Mais la persévérance dans cette voie, avec un dévouement dogmatique et religieux, ne mène nulle part.
En premier lieu, tout simplement, parce qu’aucun pays dans l’histoire économique moderne ne peut faire face à une dette qui s’élève à près du double de son PIB, un PIB qui ne cesse de se contracter, du moment que ce pays doit payer chaque année plus de 10 milliards d’€ d’intérêts, et il doit émettre un excédent de 4,5 % qui ira intégralement au paiement de la dette. Tout simplement, de façon mathématique, le développement est impossible dans un tel cadre. Et sans croissance, on ne sortira pas de la crise. Même si nous croyons qu’il y a des richesses, surtout en Grèce, qui ces dernières années restent intactes, ces richesses doivent être taxées, et nous sommes en mesure de trouver ainsi des ressources mais nous devons avoir la perception que nous avons besoin de créer de nouvelles richesses pour sortir de la crise. Et sans croissance, on ne produit pas de richesses.
En second lieu, le programme de privatisations, qui était censé être un instrument pour sortir de la crise, ne peut pas fonctionner dans un contexte de désinvestissements et dévaluation des valeurs. Ils pensaient récupérer 50 milliards par les privatisations, nous en avons trouvé 2,9 milliards et dans le meilleur des cas, si le programme continue, nous trouverons 9 milliards.
En troisième lieu, les réformes structurelles. Les réformes structurelles vont dans la direction opposée des nécessaires réformes structurelles. Nous n’affrontons pas les grandes pathologies de l’économie grecque : l’évasion fiscale, l’Etat clientélaire. Avec une application dogmatique, ils promeuvent des réformes qui n’ont plus rien d’autre à proposer que la libéralisation des licenciements dans une économie qui compte près de 30 % de chômeurs. Je crois qu’il y a de nombreuses opportunités dans le cadre européen, mais pas dans l’adhésion dogmatique à la logique de l’austérité, pas dans le contexte de la troïka.
La troïka a failli, elle doit être arrêtée. Il existe d’autres solutions. Ici je veux rappeler cela, en juin 2012, M.Monti avait proposé que la re-capitalisation des banques soit réalisée directement par le MES(Mécanisme euroépen de stabilité), sans plomber les dettes publiques. Cette proposition, si elle avait été suivie, nous aurait permis d’aller beaucoup mieux à l’heure qu’il est.
Ainsi, aujourd’hui, nous sommes confrontés à une réalité qui est caractérisée par la stagnation, le risque de déflation, le creusement des dettes publiques et privées. Pour faire face à cette réalité, nous avons besoin :
– En premier lieu, d’une politique courageuse de la BCE, un « quantitative easing ». Les propositions de Draghi vont pour nous dans une direction positive, mais il faut des mesures encore plus radicales pour traiter le problème ;
– En second lieu, nous avons besoin d’initiatives pour le développement, à l’échelle européenne pour affronter la récession, en étendant le rôle de la Banque européenne pour les investissements ;
– En dernier lieu, nous devons résoudre – nous aurions déjà du le faire, il y a des années, quand a commencé la crise – le problème de la dette. Nous proposons une solution européenne, pour trouver une base durable, dans une logique de solidarité, dans la logique de la Conférence de 1953 qui a traité la dette de l’Allemagne. Ce fut un grand moment de solidarité pour l’Europe. Nous devons redécouvrir ces valeurs fondatrices de l’Europe. Solidarité, démocratie, cohésion sociale. »