Le 5 mars 2015, la section française du Parti communiste grec (KKE) tenait une réunion d’information sur la situation en Grèce depuis les élections de janvier. Dix camarades de la section du PCF Paris 15ème y ont assisté. Le camarade AB a rédigé le compte-rendu que nous reproduisons ci-dessous.
Nous nous félicitons de cette initiative de nos camarades grecs.
L’avènement au gouvernement de Syriza donne lieu en France à de dangereuses campagnes politiques de confusion, y compris à la « gauche de la gauche ». Certains prennent leurs rêves pour des réalités malgré des faits aussi graves que l’alliance de Syriza avec un parti patronal d’extrême-droite ou la signature d’un nouveau mémorandum avec les institutions de l’Europe du capital. D’autres cultivent de dangereuses illusions en vue d’une recomposition politicienne à « gauche » avant 2017 en entretenant des illusions sur la Grèce. Le Parti de la gauche européenne (PGE) a même approuvé le dernier diktat de l’ex-troïka, négocié avec Syriza, contre le peuple grec. Les positions du KKE sont ignorées ou caricaturées.
Les faits et les analyses rapportés par notre parti frère historique sont pourtant des éléments essentiels, soumis à discussion, pour la compréhension de la situation en Grèce et le développement d’une réelle solidarité dans l’action parallèle en France contre les forces capitalistes nationales autant qu’européennes.
Lire aussi : Grèce: aucun intérêt à laisser planer des illusions sur Syriza
Grèce : Compte-rendu de la réunion d’information de la section française du Parti communiste grec (KKE) du 5 mars 2015
AB pour PCF Paris 15, 11 mars 2015
I/Les enjeux de la campagne électorale
La crise économique capitaliste se fait ressentir en Grèce surtout à partir de 2010. A cette date, le PASOK au pouvoir demande des prêts conséquents à la troïka qui, en contrepartie, impose la casse générale du système de protection sociale et une attaque contre les droits des travailleurs. La teneur de ces mesures et leur calendrier précis étaient définis au sein du mémorandum. Le résultat de ces mesures s’est rapidement fait sentir ; paupérisation brutale, baisse de 30% du pouvoir d’achat, multiplication par deux du chômage pour dépasser les 25%. Deux ans plus tard, en 2012, un second mémorandum est négocié entre le gouvernement grec et la troïka, ce qui continue de déstabiliser considérablement le PASOK au pouvoir. En mai 2012 ont lieu les élections législatives, marquées par la victoire du parti de droite Nouvelle Démocratie (36%), l’effondrement du PASOK (13%), la montée en puissance de SYRIZA (avec 17% SYRIZA devient la première force de gauche social-démocrate). Mais ces élections sont aussi marquées par un renforcement très net du KKE qui obtient 26 députés et 8,67% des suffrages. Aucun parti n’avait la majorité absolue pour créer un gouvernement, mais la Nouvelle Démocratie avait tout à fait la possibilité de créer un gouvernement de coalition. Cette solution a été écartée au profit de l’organisation de nouvelles élections législatives en juin avec l’objectif notamment de piéger le KKE pour qu’il perde une partie importante de ses élus à ces nouvelles élections. Un mois plus tard se sont donc tenues de nouvelles élections législatives marquées par une victoire très nette de la Nouvelle Démocratie (43%), par une nouvelle percée de SYRIZA (23%) et par le recul du KKE (4%). Malgré ce recul électoral, le KKE a décidé de continuer la lutte dans les quartiers, dans les lieux d’études et dans les lieux de travail, de rester inflexible face à la politique du capital et de lutter contre le nouveau visage de la social-démocratie : SYRIZA.
Face à une contestation populaire toujours plus importante, face à un rejet des politiques gouvernementales et avec l’arrivée d’un troisième mémorandum en mars 2015, le gouvernement grec a décidé, il y a quelques mois, d’organiser en janvier 2015 de nouvelles élections législatives pour tenter d’assoir son autorité. SYRIZA, surfant sur l’effondrement du PASOK et sur une opposition de principe à ce nouveau mémorandum, est alors rapidement apparu comme favori pour remporter les élections. Avec un programme social minimum, et des garanties largement données à l’Union Européenne et aux diverses puissances impérialistes, SYRIZA est devenu en quelques mois le nouveau cheval sur lequel la bourgeoisie devait miser si elle cherchait à conserver le pouvoir. Alexis Tsipras et son parti ont alors reçu le soutien d’une partie des armateurs grecs, de l’archevêque d’Athènes (et donc d’une partie de l’Eglise Orthodoxe) et même de l’ancien roi de Grèce déchu Constantin II. Tous ces soutiens ne peuvent qu’interroger sur le rôle réel que joue SYRIZA en Grèce.
De son côté le KKE a mené une campagne indépendante, faisant reposer son programme sur l’idée d’une alliance populaire allant de la petite paysannerie à la classe ouvrière, en passant par les divers salariés pauvres et les nombreux auto-entrepreneurs largement déstabilisés par la crise. Un programme clair : abolition des mémorandums et de la troïka, sortie de l’euro et de l’Union Européenne, pouvoir au peuple et socialisation des moyens de production.
Le 25 janvier 2015 ont eu lieu de nouvelles élections législatives qui, sans aucune surprise, ont vu s’imposer SYRIZA (avec 36% des voix et 149 sièges), devant la Nouvelle Démocratie (27% et 76 sièges) suivi de l’Aube Dorée, le parti néo-nazi, qui obtient 6% des suffrages. Dans un contexte difficile, le KKE a réussi à progresser, tant au niveau du pourcentage qu’au niveau des voix (5,5% des suffrages exprimés, soit 340 000 voix), lui permettant alors d’obtenir 12 députés. Il faut également noter, chose trop souvent oubliée, que la participation n’a été que 63%, chiffre relativement faible en Grèce. Le KKE a particulièrement progressé dans les quartiers populaires à la suite d’un travail de terrain de grande ampleur. Cela s’est particulièrement vu au Pirée où le KKE a réussi à faire chuter très lourdement l’Aube Dorée qui avait réussi jusqu’ici à s’installer dans ces quartiers populaires.
La victoire de SYRIZA à ces élections montre d’abord une véritable volonté de changement de la part du peuple grec qui aspire à un avenir meilleur que celui qui lui est promis par les différents gouvernements nationaux et par la troïka. Les 40 premiers jours du gouvernement Tsipras nous confortent cependant dans notre idée que SYRIZA n’est que le nouveau visage de la social-démocratie au profit du capital !
II/Les 40 premiers jours du gouvernement SYRIZA et les propositions du KKE
Le lendemain de l’élection, SYRIZA annonce une alliance avec les Grecs Indépendants (parti souverainiste d’extrême-droite) pour la constitution d’un gouvernement. La rapidité de cet accord prouve bien qu’il était prévu avant même le déroulement des élections. Le nouveau gouvernement formé est alors conforme à ce qu’est SYRIZA ; la dernière carte des capitalistes en Grèce. Le ministère des finances est donné à Yánis Varoufákis, économiste libéral ancien membre du PASOK, le ministère de la santé est confié à Panayótis Kouroumblís elle aussi ancienne membre du PASOK, le ministère est affaires étrangères revient à Níkos Kotziás ancien conseiller de Papandréou au PASOK… D’autres ministères, comme par exemple le ministère de la défense nationale, sont confiés à des membres des Grecs Indépendants, parti d’extrême-droite, souverainiste et ouvertement raciste. Avec un tel casting il est difficile d’imaginer une autre politique que celle menée précédemment par le PASOK ou la Nouvelle Démocratie.
Les 40 premiers jours du gouvernement Tsipras confirment cette idée. Lors des premières négociations avec l’Union Européenne, le gouvernement grec a accepté toutes les mesures proposées par la troïka. Si changements il y a, ils sont alors sémantiques. En effet, la troïka n’existe plus pour SYRIZA, on parle des « institutions », les mémorandums ont eux aussi disparu au profit des « accords »… Derrière ce changement de vocabulaire, les accords pris entre SYRIZA et l’UE sont dans la lignée des précédents :
-dans le secteur public limitation des embauches, instauration d’évaluations pour l’avancée de carrière et baisse des salaires via la suppression des primes.
-flexibilisation du marché du travail, développement du temps partiel et suppression des conventions collectives qui seront remplacées par des conventions individuelles.
-la proposition d’un SMIC à 750€ devient un souhait du gouvernement, remis à plus tard, et qui sera accompagné de nombreuses aides au patronat (baisse de cotisations par exemple).
-pour réduire le chômage, le gouvernement prévoit la mise en place de stages non ou peu rémunérés, de quoi accentuer la précarité déjà importante chez les jeunes.
-concernant les retraités, le gouvernement propose la hausse de l’âge des départs à la retraite pour les salariés des banques.
-refus de toute nationalisation et refus d’abroger les privatisations déjà réalisées.
-ouverture des métiers réglementés, ce qui va déstabiliser encore un peu plus les petits entrepreneurs précaires.
-baisse des dépenses publiques entraînant de nouvelles coupes dans les budgets de la santé et de l’éducation par exemple.
-pas d’abolition de la taxe d’habitation qui est une nouveauté en Grèce (instaurée en 2011) et qui pèse particulièrement sur les ménages les plus pauvres.
-pas d’interdiction de la mise aux enchères, par les banques, de l’habitation principale en cas d’impayé. Cela va donc permettre aux banques de continuer à s’enrichir et augmenter le nombre de sans-abris.
-pas de suppression des centres d’emprisonnement des sans-papiers nouvellement arrivés sur le territoire.
Malgré l’ampleur des attaques, le nouveau gouvernement se refuse à faire passer ces propositions au parlement, expliquant qu’il ne s’agit plus d’un mémorandum mais d’un simple « accord » passé avec les institutions européennes (la troïka ayant disparu). Le KKE analyse cela comme la tentative de SYRIZA de conserver une certaine virginité au parlement en n’obligeant pas ses députés à voter de telles mesures (qu’ils voteraient de toute manière). Faire passer ces mesures au parlement entraînerait également un accord entre SYRIZA, le PASOK et la Nouvelle Démocratie, ce qui contribuerait à faire tomber le masque de SYRIZA. Face à ces nouvelles attaques contre les travailleurs, le KKE vient de déposer un projet de loi au parlement visant à supprimer tous les mémorandums. Cette proposition a été appuyée par une forte manifestation populaire organisée par le KKE à Athènes devant le parlement le vendredi 27 février 2014.
Questions
-Quelles sont les composantes de SYRIZA ? SYRIZA est une coalition de plusieurs tendances. Il y a par exemple d’anciens membres du KKE partis en 1968 (proches de la tendance eurocommunistes) ou en 1991 (tentative de transformer le KKE en un parti à la remorque de la social-démocratie). Ces anciens membres du KKE constituent l’aile gauche de SYRIZA regroupés autour de la « plateforme de gauche ». Une partie de SYRIZA est constituée d’anciens membres du PASOK et de la social-démocratie grecque venus dans la coalition à la suite de l’effondrement du PS grec. Dans tous les cas, le KKE n’a de liens avec aucune des composantes de SYRIZA qui comme point commun leur anticommunisme et leur ralliement à la social-démocratie. Cela se voit particulièrement au niveau du syndicalisme où toutes les composantes de SYRIZA luttent contre le PAME, la structure de classe liée au KKE.
-Quelle est la place du PAME dans le mouvement syndical grec ? Le PAME progresse depuis plusieurs années, en particulier au cours des différentes luttes menées (port du Pirée, agroalimentaire, filière du lait…). Dernièrement, la fédération de l’agroalimentaire a rejoint le PAME renforçant considérablement les rangs du syndicalisme de classe en Grèce. Le KKE s’implique dans le mouvement syndical en amenant le plus de travailleurs possibles à la syndicalisation.
-Que fait la section française du KKE ? La section française du KKE a été créée en 2001. Elle a comme objectif d’organiser dans un parti révolutionnaire les Grecs installés en France. Elle travaille aussi à la lutte aux côtés des travailleurs français et amène des éléments dans le combat contre la mutation des organisations révolutionnaires françaises. Dernièrement, un comité de soutien a été monté pour aider la diaspora grecque nouvellement arrivée en France à faire les démarches administratives, à apprendre la langue, des sorties culturelles et politiques sont également organisées.
-Quels arguments utiliser pour expliquer la sortie de l’UE ? Une partie des bourgeoisies européennes est pour la sortie de l’UE et de l’euro, la question n’est donc pas évidente. La position d’un parti communiste est de sortir de l’euro et de l’Union Européenne tout en prenant le pouvoir pour abolir le capitalisme et socialiser les moyens de production. Il faut également sortir nos pays d’autres organisations impérialistes, comme par exemple l’OTAN. Aujourd’hui, à peu près 35% des Grecs sont pour la sortie de l’UE.
La réunion s’est terminée sur l’idée qu’il était nécessaire de diffuser largement l’information sur la situation réelle en Grèce pour contribuer à faire tomber le masque de SYRIZA. Il a également été rappelé l’importance du travail commun entre militants communistes de différents pays. Merci à nos camardes du KKE pour cette réunion riche en informations, et nous répondrons de nouveau positivement à vos sollicitations pour la mise en place d’autres initiatives afin de renforcer le mouvement communiste international, de renforcer nos propres organisations révolutionnaires et de lutter partout contre le capital !