La couleur du deuil, ce n’est pas le bleu-blanc-rouge !

Tribune Emmanuel Dang Tran reprise par vivelepcf, 27 novembre 2015

Aujourd’hui, ne nous trompons pas de couleur, ne nous trompons pas de drapeau !
Si nous voulons exprimer notre deuil après les attentats du 13 novembre et nos condoléances aux proches des victimes, en France traditionnellement, la couleur appropriée, c’est le noir.
Si nous voulons appuyer la politique guerrière menée par les grandes puissances occidentales depuis des années, le drapeau le plus approprié serait celui des Etats-Unis ou plutôt celui de l’OTAN. Communiste français, je me bats pour que ce ne soit pas le drapeau bleu-blanc-rouge.

L’émotion collective et un certain élan de fraternité dans la population sont des réactions normales et saines devant l’horreur des crimes du 13. Le matraquage médiatique prépare leur récupération. Le pouvoir met tous ses moyens pour transformer la réaction populaire en soutien à sa politique de guerre, de répression et casse des acquis démocratiques et sociaux.

La manipulation de l’opinion dans ce but avec le drapeau – qu’aujourd’hui Hollande enjoint de déployer à sa fenêtre « en hommage aux victimes » – est aussi évidente que grossière. Il n’en est pas moins nécessaire de la dénoncer parce qu’elle prend et parce qu’elle fait peur.

L’idéologie dominante n’est jamais à cours d’inventivité dans ses outils de propagande. Les réseaux « sociaux » viennent d’en déployer de nouveaux, perfides et dangereusement efficaces. Le soir des attentats, une application « Facebook » permet à chacun de rassurer ses proches (connectés) en leur envoyant le message « en sécurité ». A priori, c’est bien intentionné. Mais le lendemain, une autre application « Facebook » – un simple clic – joue sur le réflexe conditionné pour inciter les « amis Facebook » à mettre un fond bleu-blanc-rouge derrière la photo de leur page d’accueil. Invitons nos amis psychologues et sociologues à démasquer les ressorts de l’opération ! En tout cas, même cela, ça fait peur.

Depuis 15 jours, la surenchère d’invocations tricolores et de déclamations patriotiques, parfois jusqu’à l’ineptie, entretient de confusions, des mensonges très dangereux, au service de la pire des politiques.  

Non, les spectateurs du Bataclan et les clients des restaurants assassinés ne sont pas « morts pour la France ». Justement, ce qui fait une part de l’atrocité du crime, c’est qu’elles ont été les victimes innocentes d’un acte lâche. Il n’y a pas de raison que l’hommage national ait lieu aux Invalides, site militaire, et non, par exemple, devant le Bataclan.

Non, les attentats n’ont pas visé notre mode de vie, notre culture nationale ! On pourrait presque rire en pensant au concert de hard rock américain et au restaurant cambodgien (même si l’identité culturelle de la France est diverse et heureusement). Pensons un instant à l’atteinte à leur mode de vie, qu’il soit occidental ou oriental, que subissent les habitants d’Alep, de Mossoul ou de Tripoli sous les bombes des impérialistes et des terroristes !Cette rhétorique nationale identitaire, diffusée par les médias de masse, tend la perche aux racistes qui pointent du doigt les réfugiés ou certaines autres composantes de la population nationale, originaires de pays où la religion musulmane prédomine. C’est le résultat et le but probable de ce discours. Là aussi, ça fait peur.

Sur le même ton, de façon inédite « à gauche », Hollande a repris et développé les positions de la droite extrême et de l’extrême droite en demandant que certains criminels soient déchus de la nationalité française. C’est de l’incitation au racisme. On connaît le discours : il y aurait les bons et les mauvais Français (sans parler des étrangers) et surtout certains qui pourraient être présumés « moins bon Français ». Il n’est venu à l’idée de personne de déchoir de la nationalité française les terroristes de l’OAS ou les pires collabos fascistes, ou le docteur Petiot. Ceux qui nous parlent d’union nationale sous le drapeau insufflent la division dans le pays pour mieux faire passer leur politique. Là encore, ça fait peur.

Il y en a aussi assez d’entendre que les attentats ont frappé le « pays des Droits de l’Homme ». La France est certes le pays où la Déclaration des Droits de l’Homme a été rédigée mais l’Etat français n’en est pas l’incarnation parfaite ! Les terroristes « islamistes » ont frappé aussi l’Espagne, la Tunisie ou surtout la Syrie où n’a pas été rédigée la dite Déclaration ! Et le gouvernement vient d’informer le Conseil de l’Europe qu’avec l’état d’urgence, il allait « déroger à certains droits garantis par la Convention européenne des Droits de l’Homme ». C’est effrayant !

Il n’y a pas besoin d’être grand géo-stratège pour comprendre que la France est attaquée parce que les dirigeants français, depuis Sarkozy, sont devenus les premiers propagandistes, les fers de lance dans le monde – politiquement encore plus que militairement – des guerres qui ont semé la désolation et la mort notamment en Libye et en Syrie (tout en soutenant les guerres israéliennes). Et c’est précisément parmi les populations livrées au chaos par ces guerres que les terroristes islamistes veulent recruter et asseoir leur pouvoir. Et c’est parmi les populations du monde, qui identifient le plus facilement – à tort ou à raison – leurs malheurs à ceux de ces pays dévastés, que les terroristes islamistes espèrent trouver quelques paumés et autres fous en mal de dérive sectaire et de violence.

Je souhaite l’élimination de Daesh et tous les groupes monstrueux équivalents. C’est bien pourquoi je ne peut pas me ranger derrière le drapeau de ceux qui entendent intensifier la politique et les guerres qui ont fait le lit de ces groupes, qui les ont créés, financés et armés.

L’émotion, le matraquage, (l’opportunisme de misérables politiciens ralliés à l’Union sacrée avant les élections !), ne doivent pas nous rendre dupes du discours hypocrite et cynique des Hollande, Valls, Sarkozy et cie. Malgré les attentats de Charlie, les aviations américaines et françaises ont largement ménagé Daesh, l’ont notamment laissé conquérir Palmyre pour affaiblir Assad.

On a pu lire dans la presse mercredi (25/11) que le prince saoudien al-Walid Ben Talal « finalisait un accord historique avec la Caisse des dépôts et huit grands groupes français » pour des centaines de millions d’euros d’investissement dans « les énergies renouvelables ». Le même prince Ben Talal reconnaissait, il y a un an, sur la chaîne américaine CNN, que l’Etat saoudien avait financé et armé Daesh et que des milliardaires saoudiens continuaient à le faire.

Peut-être que cette fois-ci, les Etats-Unis et leurs alliés vont réellement éliminer Daesh, pour que Poutine ne le fasse pas avant eux. Mais ce sera pour continuer la politique qui crée des Daech, peut-être même pour raviver Al Qaïda dont Laurent Fabius en 2014 a salué « le bon boulot sur le terrain » de la branche syrienne Al Nosra.

La phrase souvent reprise, mais si juste, me revient : « on croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels » (Anatole France).

Eliminer Daesh et ses clones à la racine, passe l’assèchement de leurs bases financières, militaires et idéologiques. Pour la France, cela passe par la rupture des relations avec les dictatures obscurantistes du Golfe – qui sont également chancres financiers –, par la dénonciation de la sale guerre saoudienne contre le Yémen, par une politique de pression sur la Turquie. Cela passe par l’arrêt de la participation de notre pays à la « guerre des civilisations », à la stratégie du chaos, à la politique de destruction des Etats du Moyen-Orient poursuivies sous la direction de l’impérialisme américain et de l’OTAN.

Le drapeau bleu-blanc-rouge est le symbole de notre nation, de son histoire, dans toutes leurs contradictions. Il a été souvent sali puis quelques fois lavé depuis 200 ans. Il n’est pas question pour moi de le renier, de la renier parce qu’elle existe, parce que c’est la mienne, parce que je souhaite contribuer à ce qu’elle prenne le chemin du progrès, du socialisme, de l’amitié internationaliste entre les peuples. Chaque usage du drapeau tricolore, ou de la Marseillaise, a un sens. J’admire le courage de ceux qui les ont arboré et chantée dans la lutte pour l’indépendance de notre peuple face à l’occupant allemand. Comme les autres, j’aurais bricolé des drapeaux soviétique, britannique, américain et français pour saluer les libérateurs de 1944. Mais en aucun cas, je n’aurais agité le drapeau tricolore en mai 1958 pour la poursuite du régime colonial en Algérie…

Aujourd’hui, le rassemblement derrière le drapeau voulu par Hollande, c’est l’enrôlement derrière la politique de guerre impérialisme, de répression des libertés, d’accroissement des injustices sociales en France dans l’intérêt des capitalistes.

C’est un combat important, immédiat de le faire comprendre. L’alignement de la direction du PCF sur Hollande, dans « l’Union sacrée », l’état d’urgence, sa capitulation devant la guerre impérialiste est d’autant plus inacceptable et  grave.

Que ceux qui adhèrent à cette politique le montrent avec son vrai drapeau : celui de l’OTAN, s’ils le veulent avec ceux de l’Union européenne et des Etats-Unis !

Parce que je veux que mon pays œuvre à la paix, je laisse aujourd’hui mes drapeaux bleu-blanc-rouge au placard !

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