Extension de la vidéo-protection – 14 mars 2011

Intervention au Conseil Municipal du 14 mars 2011
sur l’extension de la vidéo-protection

 

 

Rapport n°12 extension de la vidéo-protection

 

 

 » Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs les Conseillers municipaux.

 

Il nous est proposé dans ce rapport la passation d’avenants aux marchés pour l’extension de la vidéosurveillance.

 

Voilà environ un an que la vidéosurveillance est en place à Saint-Quentin, aussi il est souhaitable d’en faire un premier bilan. Je ne vais pas m’attarder sur les interventions de la police municipale concernant les faits infra délictuels (comme les troubles, les tapages, les voitures en stationnement gênant,…) car ils ne rentrent pas dans le champ de la définition de la délinquance. Je ne minimise pas du tout ces faits, ils peuvent même empoisonner le quotidien des gens mais seuls les crimes et délits entrent dans la définition de la délinquance. Et c’est ce que le vote du 8 décembre 2008 sur la vidéosurveillance promettait de combattre. Je cite : «mise en place d’un système de vidéo protection destiné à prévenir les phénomènes de délinquance tout en luttant contre le sentiment d’insécurité ».

 

Ce bilan est d’autant plus important à dresser car malgré les études internationales sur le sujet qui ne cessent de prouver son inefficacité, la majorité du conseil municipal a persisté et a obtenu sa belle vidéo surveillance.

 

Après tout, c’est peut-être parce que Saint-Quentin serait une exception mondiale !

 

Allons voir le contenu de ces études[1] qui, je le précise bien, sont des « études internationales », car il n’existe pas encore en France d’étude évaluative digne d’un intérêt scientifique sur la question, ce qui arrange bien le ministère de l’Intérieur. Est donc exclu le rapport l’Inspection Générale de l’Administration, auquel les chercheurs n’accordent aucun crédit en raison de ses lacunes méthodologiques[2]. On ne connaît donc pas en France, quels sont les usages concrets de la vidéosurveillance, les pratiques des opérateurs et ses effets aussi bien sur la délinquance que sur le sentiment de sécurité.

 

Que nous disent ces études ?

 

En matière de prévention, la vidéosurveillance à un impact faible dans les espaces ouverts comme les rues. Qu’en est-il à Saint-Quentin ? Pour l’instant, l’impact est quasi nul. Il n’y eu que 10 faits constatés de délinquance générale en moins s’il on compare l’année 2009 et l’année 2010, année durant laquelle la vidéo surveillance a fonctionné 10 mois, soit une baisse de 0,23%.[3],

 

Pourquoi n’est-ce pas efficace ? Sans doute parce que la délinquance se déplacent hors des zones des caméras (c’est « l’effet plumeau ») ou parce qu’il n’y a pas d’effet dissuasif de passer à l’acte, le risque d’être identifié étant faible et la possibilité de fuite très simple. Ainsi des commerçants de la place de l’Hôtel de Ville, cœur du système sous surveillance, continuent de porter plainte pour des vols, allant même jusqu’à solliciter eux-mêmes l’aide de la vidéosurveillance. Mais en vain, car ils constatent que la vidéosurveillance ne permet pas de faire aboutir les enquêtes. Toujours en ce même lieu, cela n’empêche pas la récidive des cambriolages. Il suffit aux voleurs d’agir en dehors des heures de surveillance et d’être cagoulés. Ce système, qui se veut  préventif n’a pas d’impact pour les crimes et délits, à Saint-Quentin, comme ailleurs.

 

Si le système préventif ne fonctionne pas, peut être est-il plus efficace en matière d’élucidation ? Ah Monsieur le Maire, en tant qu’Officier de Police judiciaire, c’est bel outil technologique qui est à votre disposition… mais qui ne sert à rien ou si peu !

Je sais bien que vous allez me parler d’un certain nombre d’affaires qui n’auraient pu être résolu sans la vidéosurveillance. C’est ce que vous avez déclaré lors d’un précédent conseil, sans bien entendu faire la preuve que ces affaires n’auraient pu être résolus sans les caméras. Il y a eu effectivement quelques affaires intéressantes. Par contre, ce n’est pas les cas particuliers qui nous intéressent, c’est le système dans sa globalité. A savoir, dans quelle mesure la vidéo surveillance permet-elle d’apporter un soutien à l’élucidation des faits de délinquance ? Je tiens à préciser que toutes mes sources sont des données officielles. Les statistiques des faits élucidés à Saint-Quentin sont relativement stables d’une année à l’autre, à un point prêt. Aussi pour mon calcul, j’ai pris la fourchette haute (qui, vous le noterez bien,  vous donne l’avantage), 40.95% de taux d’élucidation, sur 4364 faits constatés  de délinquance générale en un an, soit 1787 faits de délinquance élucidés. Comment connaître la part qui revient à la vidéosurveillance ? En comparant ses données avec le nombre de réquisitions judiciaires dans le cadre des enquêtes. Depuis que la vidéosurveillance  est installée : environ 40[4]. 40 réquisitions judiciaires ! Ce qui veut dire que 2.29 % des faits de délinquance élucidés sont potentiellement imputables à la vidéosurveillance (car rien ne dit que ces réquisitions ont été fructueuses). Ce qui place Saint-Quentin au même rang que les autres villes où la vidéo surveillance est installée

 

On peut voir le côté positif, et se dire, finalement, c’est mieux que rien. Sauf s’il on considère le coût exorbitant de ce système. Pour rappel, le conseil municipal du 8 décembre 2008 a voté une enveloppe budgétaire de 1.5 millions d’euros pour 3 ans, soit 500 000 euros par an, auxquels il faut rajouter le coût salarial, environ 120 000 euros par an, soit 620 000 euros. Je ne compte même pas les charges des locaux.

 

Outre les 40 réquisitions judiciaires, la police nationale est intervenue environ 80 fois en un an, à la demande du Centre de Supervision Urbaine. Ce qui ramène, tout confondu, chaque cas à 5166 euros ! Voilà ce que coûte concrètement la vidéosurveillance à Saint-Quentin. 5166 euros par fait de délinquance, résolu ou non !

 

Autre calcul frappant. En moyenne, en un an, chaque caméra (elles étaient 52 en décembre) aura permis de détecter 0.4 fait de délinquance.  Je vous fais grâce du calcul par mois, cela en serait risible si cela n’était pas aussi coûteux pour la ville.

 

 

Alors Monsieur le Maire, si la vidéo surveillance est de fait inefficace pour un coût disproportionné, à quoi peut-elle servir ? A un tout petit peu de populisme ?

Cela dit, c’est efficace pour camoufler la baisse d’effectifs dans la Police Nationale. Saint-Quentin ne fait pas exception, c’est le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Aujourd’hui, la Police Nationale de la ville a perdu 18%[5] de ses effectifs comparé à 2002 et moins 10% depuis que Nicolas Sarkozy est président de la République.

 

 

Avec tout ce que coûte cette vidéosurveillance au contribuable, on pourrait en faire des choses nettement plus intéressantes pour le bien-être de la population. A Saint-Quentin, ce choix pourrait représenter plus d’une vingtaine  d’emplois municipaux de proximité (que ce soit des policiers municipaux, des éducateurs de rue, des agents de médiation, des correspondants de nuit), en mesure de rassurer la population et de réguler les conflits de la vie quotidienne de manière autrement plus efficace. Tout en laissant à la Police Nationale ce qui entre dans ses prérogatives, les crimes et délits. Car la vidéosurveillance, c’est aussi un transfert de compétences et de charges de l’Etat vers les communes.

 

 

Une dernière remarque Monsieur le Maire. Tachez dans votre réponse, d’être pragmatique et de ne pas utiliser comme la dernière fois des poncifs du type : « Qui n’a rien à se reprocher, n’a rien à craindre »  Ce genre d’argument ouvre une brèche à bien des pratiques dangereuses qui remettent en cause les libertés individuelles. Car dans ce cas, il peut tout aussi bien s’appliquer, comme cela était suggéré en 2006[6], à la  détection des futurs délinquants chez les enfants de trois ans, ou  au fichage ADN systématique de la population.  J’en resterai pour ma part à la phrase de Thomas Jefferson : « Si vous êtes prêt à sacrifier un peu de liberté pour vous sentir en sécurité, vous ne méritez ni l’une ni l’autre »

 

 

J’en finis. Monsieur le Maire, mesdames et Messieurs les conseillers municipaux, vous l’aurez compris, parce que la vidéosurveillance ne fait pas la preuve de son efficacité, parce qu’il n’est qu’un outil extrêmement coûteux, ou service d’une idéologie visant à concentrer les ressources et les moyens publics dans des dispositifs sécuritaires au détriment des institutions d’éducation, d’action sociale. Aussi, nous voterons contre ce rapport. Et j’avoue que j’aimerai beaucoup que l’on mette autant d’ardeur et d’argent à traquer la délinquance financière et autres patrons voyous !

 

Merci de votre attention. »

 

 

Annexe :

  1. critères méthodologiques pour étudier la vidéosurveillance (Sébastien Roché, directeur de recherche au CNRS)

–          Se restreindre à quelques délits bien précis.

–          Choisir des « morceaux de ville » (l’analyse de l’impact ne peut être basé sur les individus mais sur des territoires, similaires, qu’il faut comparer avec l’utilisation u non de la VS)

–          Contrôler les fluctuations générales (la délinquance est toujours sujette à des fluctuations contextuelles)

–          Comparer des zones témoins (avant et après l’installation de la VS, avec un recul d’au moins deux ans dans chaque cas ; tout en la comparant avec des zones sans VS. Mais attention aux déplacements de la délinquance).

–          Tenir compte des effets concurrents (comme le fait que des zones soient éclairées, ce qui rend plus difficile le passage à l’acte, et n’est pas forcement le fruit de la VS)

 

 

[1]              Martin Gill and Angela Spriggs, Assessing the impact of CCTV, Home Office Research

Study n°292. Home Office: London, 2005. www.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs05/hors292.pdf, cité dans La vidéosurveillance est-elle une réponse efficace à la délinquance ?, Tanguy LE GOFF, Chargé d’études à l’IAU-IDF, Chercheur associé au CESDIP

[2]           Tanguy Le Goff et Eric Heilmann,  Vidéosurveillance : un rapport qui ne prouve

rien, www.laurent-mucchielli.org/publi/videosurveillance.pdf,2009

[3]              Source Police Nationale. Faits constatés de délinquance générale pour la circonscription de Saint-Quentin : 2009 : 4374 ; 2010 : 4364.

[4]              Source Police Nationale

[5]              Source Police Nationale : 2002 environ 151, 2007 : 138,  2011 : 124 fonctionnaires en poste

[6]              INSERM, rapport de J.A. Benisti

 

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