« Baisser le coût du capital » : nouveau slogan trompeur du réformisme ?

Nous reproduisons ci-dessous l’introduction à une formation économique organisée par « Cahiers communistes » à l’été 2014 pour relativiser et contredire le slogan « Baisser le coût du capital ». Nous la devons à notre camarade AB. La discussion sera retraduite par un compte-rendu prochain.

La baisse du « coût du capital » est devenue un argument omniprésent dans les expressions du PCF et de la CGT. Opposer « coût du capital » à « coût du travail » est séduisant à « gauche ». Cela semble opposer capital et travail. Mais, en réalité, on se place dans les deux cas du côté du capitaliste qui cherche à minimiser ses coûts, dans un dilemme étranger au prolétaire. Et cette opposition, loin de renforcer des positions de rupture sur lesquelles gagner des avantages immédiats, nourrit l’argumentaire réformiste sinon patronal.

Que le profit capitaliste soit extorqué sous forme de dividende, d’intérêt financier, ou de plus-value boursière n’importe guère pour le salarié, dans son intérêt de classe.

Depuis l’aurore du capitalisme, les patrons tentent d’embrigader leurs salariés dans leurs intérêts, notamment en leur faisant miroiter une part de leurs propres profits. Des politiciens bien intentionnés reprennent en cœur la nécessité de « mieux répartir » les richesses produites par le travail. Une des bases de ce raisonnement trompeur serait l’unité d’intérêt des patrons et cadres dirigeants des entreprises, « productifs », avec leurs salariés et subordonnés contre une abstraite « finance » voire apatride. Ces patrons prétendent ne pas en faire partie !  

Sarkozy est allé loin dans cette propagande, promettant une distribution des richesses, à un tiers pour les capitalistes, un tiers pour les patrons et prétendument un tiers pour les salariés. Aujourd’hui des individualités de « gauche » comme Montebourg, mais aussi des analyses viciées comme celle qui amène à identifier le « coût du capital » en dehors de l’exploitation capitaliste, en reprennent plus ou moins consciemment l’idéologie.

Résolument dans le camp de la classe ouvrière, il nous semble hasardeux de remettre en cause, même au nom de la mondialisation, la théorie du « Salaire, prix et profit » de K. Marx.

Pour ouvrir le débat dans le PCF et dans la CGT, nous mettons en ligne cette introduction. D’autres réflexions suivront. En accord ou en contestation de nos textes, exprimez-vous !

Baisser le coût du capital ou lutter contre l’exploitation capitaliste ?

Depuis maintenant un an la CGT a lancé une grande campagne nationale sur la thématique du « coût du capital », campagne reprise par la direction du PCF. Il s’agit d’une réponse directe à la thématique du « coût du travail », largement utilisée par le MEDEF pour justifier tous les reculs sociaux. Cette campagne porte l’idée que ce n’est pas le coût du travail qui est trop élevé mais celui du capital, qu’il faut donc baisser par divers leviers pour retrouver une certaine efficacité économique. La large publicité faite à ces idées (tracts, affiches, revues, meetings…), couplée à une apparente radicalité (pensons au terme de « capital » présent dans le titre), nécessite une interrogation de notre part sur cette campagne pour savoir ce qu’il en retourne réellement. Est-ce une reprise de la théorie marxiste dans le but de dépasser l’exploitation capitaliste, ou n’est-ce que la reprise de vieilles lunes réformistes ? Les lignes suivantes entendent éclairer quelques points de cette campagne afin de nous donner des arguments nécessaires à notre travail militant quotidien, aussi bien dans le Parti que dans le syndicat.

Pour juger du bien-fondé de cette campagne, encore faut-il savoir à quoi nous devons nous référer en tant que communistes. Contrairement à nos directions syndicales et politiques, nous affirmons et réaffirmons que nos références doivent être celles du marxisme-léninisme, seule idéologie capable d’abattre le capitalisme par l’organisation des masses. Il faut donc interroger cette campagne en lien avec nos références théoriques pour pouvoir conclure sur son aspect révolutionnaire ou réformiste. C’est précisément pour cela que nous proposons de débuter par une présentation de la théorie marxiste de l’exploitation qui doit rester le cœur de notre réflexion économique sur le salariat et le profit capitaliste. A la suite de cela, nous passerons à une étude détaillée de cette campagne sur le « coût du capital » pour en comprendre les tenants et les aboutissants. Les possibles écarts, voire divergences, entre notre théorie marxiste-léniniste et cette campagne, apparaitront alors comme autant d’arguments nous permettant de lutter dans nos sections et nos lieux de travail contre les illusions réformistes, et pour le renforcement du parti et du syndicat sur des bases de classe.

I/La théorie de l’exploitation chez Marx

Comme dit précédemment,  nous affirmons que notre analyse actuelle économique du salariat et du profit capitaliste doit s’appuyer sur la théorie marxiste de l’exploitation, pour au moins deux raisons. Tout d’abord parce que le capitalisme est un mode de production qui évolue mais dont les principes élémentaires ne changent pas. Ensuite parce que la théorie marxiste de l’exploitation est seule à porter la possibilité du dépassement du capitalisme, de la fin du salariat, et de la destruction de la société de classe. Ce n’est donc pas par orthodoxie ou par nostalgie que nous faisons références à ces théories, mais par pur réalisme si l’objectif de nos organisations politiques et syndicales reste le dépassement du capitalisme. Présentons donc en quelques mots l’analyse que fait Marx de l’exploitation capitaliste.

Marx propose une analyse scientifique du capitalisme pour tenter d’en comprendre le fonctionnement, et une des clés de voute de son raisonnement est précisément la théorie de l’exploitation. L’histoire du capitalisme débute par le processus d’accumulation primitive du capital qui permet à une classe en formation – la bourgeoisie – d’accumuler massivement du capital. Ce capital va alors permettre à cette classe d’acquérir les moyens de production au moment même où s’effectue ce qu’Engels appelle la « révolution industrielle ». Le capitalisme naissant apparaît donc comme un mode de production marqué par la division du processus productif entre d’un côté la bourgeoisie (minorité détentrice des moyens de production) et de l’autre le prolétariat (majorité ne détenant que sa force de travail). La seconde grande transformation amenée par le capitalisme réside dans la notion de marchandise mise en avant par Marx. Une marchandise n’est pas un bien comme les autres, c’est un bien qui est exclusivement produit pour être vendu sur le marché. En d’autres termes, dans le capitalisme on ne produit plus des biens pour leur valeur d’usage, c’est-à-dire pour ce qu’ils vont nous servir, mais pour leur valeur d’échange, c’est-à-dire pour leur valeur sur le marché. Prenons un exemple. Dans un système économique pré-capitaliste, un  paysan allait produire des céréales avant tout pour sa consommation personnelle et ne vendrait que le surplus lors des bonnes récoltes, mais cette vente n’était pas l’objectif premier de la production. Désormais, dans le capitalisme, le bourgeois détenteur des moyens de production, met en avant un capital pour réaliser une production qui est exclusivement destinée à être vendue sur le marché. Cette distinction entre bien et marchandise n’est pas que sémantique, est apparaît comme central pour comprendre le fonctionnement de l’économie capitaliste.

Partant de ces quelques points, Marx nous propose une modélisation du fonctionnement économique d’un système pré-capitaliste et d’un système capitaliste. Dans un système pré-capitaliste, Marx modèle le système économique par le schéma M – A – M’. Je possède une marchandise M (par exemple une table) que je ne désire plus posséder, je la vends donc et j’en retire une somme A d’argent, grâce à laquelle j’achète une nouvelle marchandise M’ (par exemple quatre chaises). Ce schéma représente le fonctionnement modélisé d’un système économique pré-capitaliste. Avec le développement du capitalisme, les choses sont inversées et nous passons à un schéma A – M – A’. Désormais, les moyens de production sont accaparés par la bourgeoisie, et l’objectif est la production de marchandises destinées au marché, ce qui explique l’inversement du schéma. Ainsi, un capitaliste va posséder un capital A, qu’il va utiliser pour produire une quantité M de marchandise, qui sera vendue sur le marché, amenant un nouveau capital A’. L’objectif du capitaliste est alors d’obtenir en fin de cycle économique un capital A’ supérieur au capital A initial, cela signifiera qu’il aura alors réalisé un profit, objectif ultime de tout schéma économique capitaliste. Toute la question que nous devons alors nous poser est de savoir comment, par ce cycle, le capitaliste a réussi à réaliser un profit ? Pourquoi la somme initiale A est devenue une somme finale A’ plus importante ? Plusieurs solutions pourraient être envisagées. Envisageons-en trois :
-de manière magique l’argent, lors de la production, aurait créé de l’argent.
-un surplus a été obtenu lors de l’échange, ce qui signifierait que toute l’économie serait fondée sur l’arnaque d’une des deux parties prenant part à l’échange.
-ou bien il existerait quelque chose qui aurait la propriété de rapporter au capitaliste plus que son coût, et cette marchandise n’est autre que le travail ! C’est la théorie de l’exploitation.

Lorsque les capitalistes engagent une somme A de capitaux pour la production de marchandises, ils achètent différentes choses. On peut évoquer des bâtiments, des machines, des consommations intermédiaires ou encore du travail. Par exemple, un capitaliste qui produirait des chemises, devra acheter un bâtiment accueillant l’usine, des machines de production, le tissu et le fil nécessaire à la confection des habits et enfin du travail. Ainsi, pour que le capitaliste fasse du profit, c’est-à-dire que le capital retiré après la vente des marchandises (ici les chemises) soit supérieur aux capitaux initialement avancés (A’>A), il faut qu’une des marchandises achetées pour la production ait la propriété de rapporter plus au capitaliste qu’elle ne lui coûte. Cette marchandise ne peut êtrele bâtiment, ni les machines, ni même les différentes consommations intermédiaires, dont la valeur se transmet dans le produit fini, mais n’augmente pas. Il faudrait en effet quelque chose de magique pour que par exemple un mètre de tissu sur une chemise valle plus cher qu’un même mètre de tissu sur un simple rouleau. Bref, la seule marchandise achetée par le capitaliste qui lui rapporte plus qu’elle ne lui coute, c’est bel et bien le travail.

 La question qui doit désormais nous intéresser est de savoir pourquoi il peut exister une différence entre ce que coûte le travail au capitaliste, et ce qu’il lui rapporte ? Chez Marx, le travail, ou plutôt la force de travail, est une marchandise comme les autres qui est donc rémunérée (par le salaire) par le temps de travail nécessaire à la production des biens de consommation permettant la reproduction de la force de travail. Ainsi, l’ouvrier n’est pas rémunéré à la valeur de ce qu’il va produire mais à la valeur de ce qui est nécessaire pour la reproduction de sa force de travail. Le salaire va donc par exemple être la somme permettant de couvrir les dépenses en nourriture, en logement, en habillement, ou encore en quelques biens culturels etc. Il peut donc exister un décalage entre la richesse produite par le travailleur et sa rémunération, et c’est là qu’arrive la théorie de l’exploitation. Prenons l’exemple d’un ouvrier qui travaille 8h par jour. Durant ces 8h de travail il produit des richesses supérieures à ce qui lui est nécessaire pour uniquement reproduire sa force de travail. Par exemple, au bout de seulement 6h de travail, l’ouvrier aura produit une somme de richesses égale à ce qui lui est nécessaire pour couvrir le coût de la reproduction de sa force de travail (logement, nourriture, habillement…). Cela lui sera alors reversé par le capitaliste sous la forme d’un salaire ; on parle du « travail nécessaire ». Mais au bout de ces 6h, l’ouvrier ne peut pas rentrer chez lui, il doit travailler encore deux heures pour terminer sa journée de travail. Les deux heures restantes seront alors travaillées par l’ouvrier de manière gratuite en quelque sorte, on parle alors du « surproduit » ou « surtravail ». C’est une partie du travail qui est directement capté par les capitalistes qui sont en position de force puisqu’ils détiennent les moyens de production. Et d’ailleurs la grande force du capitalisme c’est d’englober tout cela dans le salariat pour que ce soit invisible, système différent par exemple du mode de production féodale où le servage comprenait des temps de travail gratuit séparés, comme les corvées. Grâce à ce décalage entre ce coûte la force de travail et ce qu’elle rapporte, le capitaliste peut réaliser du profit. C’est cela qui permet d’expliquer pourquoi A’ est supérieur à A.

            La théorie de l’exploitation de Marx met donc en évidence le fait que dans le système capitaliste, une partie des richesses créées par les travailleurs est directement captée par les capitalistes qui ne rémunèrent pas les travailleurs à ce qu’ils produisent, mais à ce qui est nécessaire pour la reproduction de leur force de travail. C’est précisément cela la plus-value, source du profit capitaliste. Bref, le profit capitaliste est la part des richesses crées par les travailleurs qui ne leur est pas redonnées dans le salaire. Pour pousser la réflexion, Marx propose un calcul du taux d’exploitation en rapportant la somme de la plus-value à ce qu’il appelle le « capital variable », c’est-à-dire le capital utilisé par le bourgeois pour acheter la force de travail (taux d’exploitation = PL/V). Cependant, ce qui intéresse vraiment un capitaliste ce n’est pas le taux d’exploitation en lui-même, qui reste plutôt abstrait, mais le taux de profit. C’est cette fois l’exploitation rapportée non plus au seul capital variable avancé (le coût du travail), mais rapporté aux capitaux totaux avancés, c’est-à-dire au capital variable (travail) et au capital constant (machines, bâtiments…). Bref, le taux de profit c’est le rapport entre la plus-value (issue de l’exploitation) et le capital total investi, c’est ce que le capitaliste gagne lors de chaque production,  et cela est issu de l’exploitation des travailleurs.

Nous venons ici de tracer les grandes lignes de la théorie économique de l’exploitation présente chez Marx, théorie qui nous permet de comprendre pourquoi, dans un système capitaliste, les détenteurs des moyens de production réussissent à réaliser des profits. Le rôle d’une organisation communiste (politique ou syndicale) est alors de lutter, par des moyens théoriques et pratiques, contre l’exploitation capitaliste. Par cela, nous pourrons préparer le terrain pour une société sans classes et débarrassée de toute exploitation. En relation avec cette théorie, interrogeons-nous désormais sur les objectifs de la campagne « cout du capital » menée par la CGT et le Front de Gauche. Est-ce une campagne de lutte contre l’exploitation capitaliste, ou bien un nouveau pas dans le réformisme ?

II/La campagne « coût du capital »

            1/Présentation générale de la campagne

Depuis maintenant un peu plus d’un an, la CGT, puis le PCF et même la fameuse « aile gauche » du PS, expliquent que le problème de nos économies serait un coût du capital trop élevé qui plomberait alors la compétitivité des entreprises nationales. A l’origine de tout cela nous avons une étude commandée par la CGT à un centre de recherche en économie à Lille sur la question du coût du capital. Ce laboratoire, le CLERSE (composés d’économistes atterrés, ou atterrants c’est selon…) publie alors un rapport en janvier 2013 avec l’idée que le problème de notre économie c’est le coût du capital qui est trop élevé. Une grande publicité va alors être faite à cette idée, et va ainsi devenir une campagne de la CGT, reprise ensuite par le PCF. On peut par exemple citer un numéro entier d’Economie et Politique, de nombre articles des Boccara, des pages entières de l’Humanité, de la NVO… Sur le site du PCF on trouve même une page consacrée à cela, dont une explique :

« Vous l’entendez à longueur de journée, en France, le travail coûterait trop cher et la compétitivité des entreprises serait plombée par les charges sociales, c’est à dire les cotisations qui financent la protection sociale. […] Pourtant, ce qui pèse sur l’efficacité des entreprises, ce qui pèse sur notre économie, c’est le coût du capital, pas le travail. Un tabou que le Parti communiste français entend lever en menant une campagne vérité sur le véritable coût du capital dans ce pays. »

Bref, notre parti entend lever un tabou pour améliorer la compétitivité de nos entreprises nationales ! Vaste programme !

            2/Analyse économique de cette campagne

Plongeons désormais dans les détails de ces recherches économiques afin de comprendre les arguments principaux de cette campagne. L’étude menée par le CLERSE part du point de départ qu’il y aurait un coût du capital dit « économique » et un coût du capital dit « financier » :
-Le coût économique désigne l’investissement en capital productif. C’est tout ce que l’entreprise va dépenser pour augmenter le stock de capital fixe (par exemple acheter de nouvelles machines) ou remplacer le capital fixe usé (on va remplacer de vieilles machines par des neuves). En comptabilité nationale on mesure cela par la FBCF.
-Le coût financier  désigne quant à lui ce que les entreprise vont devoir verser aux apporteurs de capitaux. On trouve ici deux grandes formes, d’abord une rémunération sous forme de dividendes pour les actionnaires, et une rémunération sous forme d’intérêts pour les obligations ou les prêts. Bref, le coût financier c’est tout ce que l’entreprise va payer aux banques pour les prêts, en dividendes à leurs actionnaires s’ils en ont et en intérêts pour rémunérer les obligations s’ils en ont là encore. C’est tout ce qui est financier et qui ne sert pas directement à produire.

A partir de là, les économistes du CLERSE retranchent le coût économique du coût total du capital, pour arriver à une idée de « surcoût du capital » Cela peut se résumer par la formule :

Bref, le coût financier apparaît comme un surcoût du capital, un coût qui vient alourdir artificiellement le coût global du capital, sans aucune utilité. Laurent Cordonnier, un économiste attéré, membre du CLERSE dit par exemple que le coût financier « ne correspond à aucun service économique rendu, que ce soit aux entreprises elles-mêmes ou à la société dans son entier ». A l’inverse, le coût économique du capital est le coût légitime, qui apporte quelque chose à la société, et ce coût pourrait servir à la mesure du « vrai » coût du capital. Bref, le point de départ c’est de dire que le capital a un coût économique et financier, et que le coût financier, s’il est positif, entraîne un surcoût pour le capital, qui est inutile, illégitime et néfaste pour l’économie.

Il apparaît nécessaire de s’arrêter d’ores et déjà sur ce postulat de départ de l’enquête. En effet, nous sommes ici en plein dans les illusions portées par la « gauche de la gauche » ou par le Front de Gauche, sur la finance. Selon ces sociaux-démocrates, il serait possible de dissocier finance et économie capitaliste, avec l’idée que la finance est un ennemi, un problème pour l’économie, et que débarrasser de cette excroissance, l’économie capitaliste serait un mode de production vertueux. On peut ici penser à Mélenchon, et plus largement aux divers réformistes du Front de Gauche, pour qui le combat à mener est contre la finance, façon détourner d’avouer leur inféodation au système capitaliste qu’ils ne remettent jamais en cause. On trouve bien là une marque de leur opposition frontale à notre idéologie marxiste-léniniste. Si on relit par exemple Lénine dans Impérialisme stade suprême du capitalisme, on comprend en quoi c’est une aberration complète de dissocier finance et production dans un système capitaliste développé. Aucune entreprise capitaliste ne peut exister sans système financier, ou alors il faudrait imaginer une économie capitaliste où toute entreprise dispose de ses capitaux propres. Le capitalisme c’est la finance et la finance c’est le capitalisme, ces deux éléments sont indissociables. On retrouve donc au cœur de cette campagne le mot d’ordre réformiste de lutte contre la finance avec l’idée que c’est une verrue du capitalisme. Mais même d’un point de vue purement pragmatique il est illusoire de séparer coût économique et coût financier du capital, lorsqu’on sait que toute entreprise, pour pouvoir investir dans la production, doit au préalable recourir au système financier pour avoir les fonds nécessaires. Par exemple, une entreprise automobile qui voudrait acheter une nouvelle chaine pour augmenter sa production, va au préalable avoir recours à des emprunts ou à l’émission de titres. Coût financier et coût économique ne s’oppose donc pas, puisqu’au contraire l’un permet l’autre. On peut donc même dire que le coût financier est légitime et utile dans le cadre du fonctionnement du capitalisme puisqu’il permet derrière d’avoir un investissement productif. Bref, coût financier et coût économique du capital ne peuvent être dissociés, car l’un permet l’autre et dire le contraire n’est rien d’autre que semer les illusions sur un fonctionnement bon et moral du capitalisme, et un fonctionnement immoral (la critique catholique de l’usure…) de ce même mode de production.

Résumons-nous. Les bases de cette campagne partent de la dissociation entre coût financier et coût économique du capital, en disant que le coût financier est un coût illégitime entraînant un surcoût du capital, freinant alors la compétitivité des entreprises. Du point de vue de la théorie marxiste-léniniste c’est une aberration de  dissocier cela. Mais ça l’est aussi d’un point de vue purement pragmatique quand on regarde le fonctionnement de l’économie capitaliste. Les économistes à l’origine de cette étude n’ont donc pas pu passer totalement à côté de cela, et ils vont utiliser un petit subterfuge pour tenter de dépasser cette erreur.

En effet, ils vont proposer une nouvelle décomposition. A l’intérieur du seul coût financier du capital, on trouve désormais une frange légitime et une frange illégitime, permettant donc de toujours appuyer l’idée d’un surcoût du capital. Ils vont alors énoncer deux critères pour juger si le coût financier est légitime ou illégitime. Le coût financier est dit légitime, dès lors qu’il permet de couvrir le coût d’administration de l’activité financière et permet de rémunérer le « risque entrepreneurial » :
-Le coût d’administration : c’est en, pour le dire rapidement, les coûts de fonctionnement des marchés financiers. Par cela, on fait au final l’apologie des marchés financiers qui sont là pour permettre la liquidité des actifs, élément absolument essentiel au capitalisme pour que les capitaux puissent circuler et ainsi prétendre faire les meilleurs profits.
-Le risque entrepreneurial : tout détenteur de capital, lorsqu’il prête ce capital, prend le risque de ne pas être remboursé. L’intérêt est donc là aussi pour couvrir ce risque.

A partir de là, les chercheurs du CLERSE et la CGT vont avoir comme envie,  pour vraiment se justifier, de mettre en place un indicateur qui permettrait de dire : « voilà à tel moment, dans notre pays, le surcoût du capital est de tant, supprimons-le pour retrouver la compétitivité ». Si on se résume une nouvelle fois, le coût du capital est composé d’un coût économique et d’un coût financier, le coût financier étant lui-même composé d’un coût légitime (ce qui couvre le coût d’administration et le risque) et d’un coût illégitime. Cette partie du coût financier dite illégitime est le surcoût du capital, qu’il faudrait donc pouvoir mesurer. Or, une telle mesure est totalement impossible, pourquoi ? Tout simplement parce que la première distinction entre coût économique et financier est difficilement quantifiable, mais alors la seconde entre coût financier légitime et coût financier illégitime, est totalement utopique. Il faudrait poser de manière totalement arbitraire, une valeur à partir de laquelle la rémunération du capital financier ne serait plus légitime ; 5% ? 8% ? 10% ? 20% ? Les grands penseurs de cette étude n’ont pas encore trouvé de solution, preuve de la faiblesse théorique de leurs travaux.

Alors outre toutes ces approximations économiques et autres illusions, quel est l’objectif final de cette étude et de la campagne CGT/PCF ? L’idée c’est d’abaisser par divers moyens le coût du capital et ainsi d’améliorer la compétitivité des entreprises et par cela de relancer l’économie. Pour ce faire, on pourrait d’abord avoir une posture morale en demandant aux actionnaires d’avoir des rémunérations acceptables. Et puis à côté de cela on aurait un levier institutionnel qui serait la baisse des taux d’intérêts. Tout cela avec l’idée que si on abaissait alors le coût du capital, les entreprises pourraient investir ce qui serait bon pour l’économie. Nous arrivons alors au point final de cette étude et de cette campagne ; il faut tout faire pour faciliter l’investissement des entreprises. C’est alors la stupéfaction totale, car d’où nous vient cette idée ? Du keynésianisme ! L’étude du CLERSE, reprise par la CGT et le PCF ne repose donc sur rien de marxiste, mais sur du pur keynésianisme, théorie bourgeoise par excellence. Il faudrait donc faire baisser le coût du capital en demandant par exemple aux actionnaires de se tempérer sur leurs dividendes. Nous ne sommes plus là dans une démarche marxiste-léniniste révolutionnaire, mais dans une posture chrétienne sur la nocivité de l’usure ; Saint Thomas d’Aquin est donc, semble-t-il, devenu l’une de nos références. Mais on pourrait aussi utiliser un levier institutionnel en réorientant la BCE pour abaisser le coût de l’investissement, on quitte donc les références religieuses, pour entrer de plein pieds dans la collaboration de classe. Référence religieuses, références keynésiennes, illusions sur l’Europe et les institutions bourgeoises, voilà ce que porte réellement cette campagne sur le « coût du capital ». Ce n’est donc en rien un instrument au service des travailleurs pour lutter contre l’exploitation capitaliste, mais une nouvelle reformulation du réformisme porté par les directions de nos organisations politiques et syndicales.

            3/Récapitulatif et argumentaire contre cette campagne

L’analyse de cette campagne est un peu technique, terminons donc par un résumé rapide des grandes lignes de cette campagne CGT/PCF pour ensuite énoncer quelques arguments qui doivent être les nôtres pour démonter les illusions ici semées. Le coût du capital pourrait donc se diviser entre un coût économique et un coût financier, coût financier lui-même divisé en coût financier légitime et coût financier illégitime. Ce coût financier illégitime représente alors un surcoût du capital qui est un frein à l’investissement des entreprises, et par cela un frein à leur compétitivité. Il faudrait donc pouvoir mesurer ce surcoût pour ensuite pouvoir le réduire ou le supprimer, améliorant ainsi l’investissement des entreprises et grâce à cela relançant l’économie. Pour réduire ce coût financier illégitime on pourrait par exemple avoir recourt à la morale (« messieurs les actionnaires veuillez baisser vos dividendes ») ou à des leviers institutionnels comme la baisse des taux d’intérêts (on retrouve la grande idée de réorientation de la BCE). Par tous ces éléments, le coût du capital serait moindre car débarrassé de son surcoût illégitime, l’investissement repartirait, ainsi que la croissance et l’emploi, bref on atteindrait un fonctionnement vertueux de l’économie capitaliste !

Voyons maintenant quelques arguments que nous avons à opposer à cela :
-D’une manière globale, est-ce le rôle d’une organisation communiste que de s’interroger sur le problème de compétitivité des entreprises, lieu de l’exploitation capitaliste ? Est-ce notre travail que de s’interroger sur les moyens de relancer l’économie capitaliste ?
-D’un point de vue théorique ensuite, cette enquête repose sur du keynésianisme, idéologie bourgeoise, et non sur le marxisme-léninisme qui doit être la théorie qui oriente nos recherches et nos débats en tant qu’organisation communiste. C’est pour cela que cette étude pointe l’importance de l’investissement pour la relance du capitalisme, ce qui une fois encore n’est pas notre souci. On peut aussi évoquer le très fort fond chrétien de tout cela, avec la critique de l’usure.
-Avec les travaux de Lénine, on doit remettre en cause un des fondements de cette étude, qui est la distinction fictive entre capital productif et capital financier. Cela s’inscrit dans une logique plus globale de la social-démocratie de critiquer l’aspect financier du capitalisme, façon aisée de défendre le capitalisme. Or finance et capitalisme sont indissociables, et nous ne devons pas lutter contre la finance, mais contre le capitalisme. Cette campagne participe donc de l’illusion de l’existence d’un capitalisme non financiarisé, plus moral…
-L’expression « coût du capital » pose problème, c’est une reprise de l’expression « coût du travail » du MEDEF. Par cela on justifie derrière l’expression de coût du travail.
-Enfin, et c’est probablement la plus grave des illusions portées par cette campagne, la théorie de l’exploitation de Marx que j’ai présentée au départ est totalement absente de ces recherches et de cette campagne. Pire encore, avec l’idée de la recherche d’un coût du capital juste, c’est à dire d’une juste rémunération du capital, on impose l’idée qu’au final il y aurait un taux d’exploitation acceptable. En effet, s’il y a un surcoût illégitime du capital, c’est que tout le reste est légitime. Or, tout profit capitaliste est issu de l’exploitation des travailleurs, ainsi si on suit la logique de cette campagne, jusqu’à un certain seuil il est légitime que les capitalistes exploitent les travailleurs. Par contre passé un certain seuil, ça ne devient plus moralement acceptable, et il existe un surcoût illégitime. En tant que communistes, nous ne sommes pas des comptables ou des curés qui fixons des seuils acceptables d’exploitation, mais nous luttons pour une société débarrassée de toute exploitation.

Conclusion

            Cette campagne lancée par la CGT et le PCF est donc dangereuse par son apparence radicale et par son mot d’ordre facilement utilisable. Pour autant, nous ne devons pas être dupes, car cette campagne est un nouveau pas franchi par la direction de nos organisations dans la liquidation de nos références marxistes-léninistes. Par les références utilisées, nous n’en sommes même plus au stade d’une trahison du marxisme, mais au stade d’une acceptation totale des références bourgeoises et réformistes. Analysons donc finement cette campagne pour mieux la démonter point à point dans nos sections ou nos lieux de travail.     Disons-le, une organisation communiste n’a pas pour objectif la relance de l’économie capitaliste, ni la recherche d’un taux de profit acceptable ! Notre but n’est pas d’amender à la marge le capitalisme et de le rendre moral. Notre objectif est clairement de supprimer l’exploitation capitaliste, et cela ne peut se faire que dans le cadre d’une société sans classe, le communisme !

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